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Réponse de Jil Jadid au projet de loi relatif aux partis politique et au projet de loi relatif aux associations

Temps de lecture : 4 minutes

À l’attention de Monsieur le Secrétaire général de la Présidence de la République

En retour à votre appréciable sollicitation de notre avis sur le projet de loi sur les partis politiques, j’ai l’honneur, au nom du Conseil National du parti (convoqué en session extraordinaire à ce sujet), de vous formuler nos observations.

Le projet de loi sur les partis politiques est venu de l’initiative propre de l’exécutif et non pas sur une quelconque demande des concernés eux-mêmes et s’inscrit, en toute évidence dans un processus de réforme plus global de l’activité politique dans le pays.

En effet, les projets de loi sur les collectivités locales, APC et APW puis sur les associations de la société civile ainsi que sur les partis politiques, nous incitent à considérer l’ensemble de la réforme proposée et non pas prendre les projets d’amendements à ces lois pour apporter des corrections à tel ou tel dysfonctionnement.

Notre étude des lois concernant les collectivités locales a déjà suscité en nous une inquiétude quant aux véritables objectifs de cette politique. Les deux projets de lois suivants concernant les associations et les partis politiques, ont confirmé très largement ces craintes.

La question se pose légitimement si ce sont les objectifs qui ont été fixés qui sont problématiques en soi ou si c’est une conception de l’action politique, de l’organisation de l’Etat et du rapport entre gouvernants et gouvernés qui interroge.

Il est, au final, inutile de commenter ou de discuter ces projets de loi dans le détail de leurs articles et dispositions tant la philosophie et l’approche qui les ont engendrées sont éloignées de nos convictions et de notre compréhension de ce que peut et doit être un Etat de droit régi par une démocratie.

Il est compréhensible que la forme de la démocratie qui pourrait être le socle de la citoyenneté n’est pas forcément la même que celle pratiquée dans les pays développés. Il est impératif de protéger l’État de tous risques de déstabilisation et en particulier, d’éviter tout financement extérieur qui est logiquement criminalisé. Ces dangers sont là et nous en avons conscience. La démocratie en Algérie est encore balbutiante et n’a pas été toujours pratiquée dans le bon sens. L’activité politique ne peut que s’inscrire dans un projet de développement du pays à l’ombre d’une souveraineté nationale incontestable.

Dans ce contexte, il est possible de s’entendre sur des règles consensuelles qui mettraient en sécurité les institutions du pays et éviteraient l’intrusion de l’argent qu’il soit national ou international dans les choix électoraux. En retour, les partis doivent attendre légitimement une organisation financière juste et équilibrée qui leur permette d’agir en toute liberté dans le cadre des lois du pays et en fonction de leur représentation.

Le projet de réforme politique tel qu’il est engagé est un mélange de lois répressives et réglementaires transformant les partis politiques ainsi que les collectivités locales en de simples succursales de l’administration.

Au lieu d’organiser une vie politique libre et responsable, ces lois emmaillottent les partis politiques dans un règlement intérieur létal à plus d’un titre. Seuls persisteront dorénavant les partis politiques qui font de leur soutien un fond de commerce. Les partis politiques novateurs, porteurs de renouveau et d’ouverture seront de fait bannis, étouffés par des dispositions plus rigides et arbitraires les unes que les autres.

A l’annonce d’un dialogue national par le Président de la République et l’intention de revoir les lois organisant la vie citoyenne, nous avions eu une lueur d’espoir, malheureusement vite démentie par ces projets de loi. Nous avions espéré une vision plus équilibrée et nous avions obtenu une mise sous tutelle administrative. Mais qu’est-ce qui justifie une telle démarche ?

Si le désordre au nom de la liberté et les dérives du laxisme ne sont pas admissibles, l’inverse est tout aussi néfaste pour la nation.

Ces projets, tels que formulés, vont aggraver la rupture entre les citoyens et l’Etat, favoriseront une hypertrophie de la bureaucratie qui finira par devenir hégémonique et un terreau de corruption et annuleront finalement tous les cadres de formation politique des futurs responsables de la nation.

Le pays entrera dans une phase de démoralisation et de désolidarité avec l’Etat qui posera de graves questions pour l’avenir.

Jil Jadid, qui a œuvré de tous ses moyens pour aboutir à une vie politique saine, formule l’espoir que ces projets de réforme soient reportés après un débat profond et sérieux concernant l’ensemble de la société politique (société civile, partis politiques, personnalités…). 

Les vrais enjeux devraient être débattus en toute franchise et en responsabilité pour construire un édifice étatique, politique et administratif, qui puisse assurer la paix sociale, la sécurité de l’Etat, la stabilité de sa gouvernance et surtout aboutir à un développement rapide et conséquent.

Dans son temps et dans son contexte, le défunt Président Houari Boumediene avait ouvert un débat général dans la société pour formuler la charte nationale. Aujourd’hui, au vu de l’évolution du monde, le changement de génération et la complexification du monde, un débat aussi large devrait impliquer l’ensemble des patriotes. C’est la seule voie qui permettrait de consolider le front intérieur, donner un sens à l’engagement pour la patrie et fixer des objectifs à moyen et à long terme pour lesquels se mobiliserait tout un chacun. C’est le choix de la citoyenneté, de la responsabilité et de la liberté qui fera renaître un espoir dans la nation.

En attendant un tel débat, Jil Jadid souhaiterait l’abandon pur et simple de cette réforme qui n’est en aucun cas opportune.

En conséquence, et en l’état actuel de ces projets de loi, nous ne participerons donc à aucun débat sur le détail de ses dispositions.

En espérant que nos observations, franches et honnêtes, interpelleront la conscience de chacun pour reconsidérer cette approche qui créera plus de difficultés qu’elle n’en résoudra.

Veuillez croire, Monsieur le secrétaire général, en notre parfaite considération.

 

Soufiane Djilali

Habib Brahmia

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