Par Soufiane Djilali
Le multipartisme en Algérie a son histoire. Après son accession à l’indépendance, les remous politiques dans le mouvement national avaient rapidement abouti à l’instauration du parti unique.
Vingt-sept années plus tard, les évènements du 5 octobre 1988 avaient, cependant, sonné le glas de l’ère du régime autoritariste. Il faut dire que depuis l’indépendance, le pouvoir en place avait domestiqué le champ politique en vue de le contrôler et ne permettait donc aucune marge pour une dynamique partisane autonome par rapport au gouvernement.
La construction de l’Etat moderne post-colonial exigeait la convergence de toutes les énergies et seul un parti politique unique était censé pouvoir canaliser les ambitions idéologiques centrifuges. C’était du moins l’argument sur lequel reposait la justification d’un tel choix. Les défis multidimensionnels ne semblaient donc pouvoir être relevés que par l’unité de l’action et donc, par syllogisme, par une doctrine politiquement incontestable. Pourtant, le silence obtenu ne signifiait pas la pacification des cœurs ni la disparition des oppositions. Les contradictions internes à un système rigidifié par un paternalisme autoritariste, ne pouvaient que revenir à la surface. Le régime était tiraillé entre un conservatisme socialiste des uns et une ouverture libérale des autres. Après les quelques réussites relatives du volontarisme lors des deux premières décennies de l’indépendance, la voie choisie a finalement précipité le pays vers l’échec. L’élaboration d’un nouveau cadre de gestion de la société devenait inéluctable. La rue, en fin de compte, a fait pencher la balance vers une ouverture politique et un multipartisme d’urgence vaguement esquissé par la constitution du 23 février 1989.
Au final, peu importe le pourquoi et le comment de ces évènements d’octobre 88, l’histoire les fixera un jour. Ce qui est important dans le réel, c’est l’irruption de nouvelles libertés publiques et la brèche ouverte dans le béton du parti unique qui en résultèrent. Malheureusement, les flots des ressentiments politiques longtemps refoulés et l’inexpérience de la pratique des libertés devaient emporter les illusions d’une tentative démocratique irréfléchie, précipitée mais pas désintéressé.
La libre parole allait vite se transformer en imprécation puis à un passage à l’acte lorsque l’argument ne portait plus. Il n’y avait plus d’échanges d’idées ni de débats mais une guerre déclarée pour remplacer l’hégémonie du FLN par celle du FIS, un hégémonisme idéologique par un totalitarisme théocratique. Ayant mis le doigt dans l’engrenage, le pouvoir n’avait plus qu’une alternative : céder face à la vague islamiste ou la contrer avec le risque d’une subversion armée. Mais comment ressouder les morceaux après l’explosion ?
Le pays était face à un dilemme tragique. La boite de Pandore avait été ouverte. Cela s’est soldé par des dizaines de milliers de morts et de profondes fractures sociétales. A l’issue de ce qui convient aujourd’hui d’appeler la décennie rouge, il fallait donner le temps à une nécessaire cicatrisation et reconstruire une autorité d’Etat. Il était désormais impossible de revenir en arrière et reconstruire un ordre autoritaire dont les modalités de fonctionnement avaient mené à la crise mais il était, en même temps, impossible d’abandonner le sort de l’Etat entre les mains d’aventuriers fanatisés, très probablement encouragés en sous-main par des forces exogènes et ayant embrigadé et manipulé une masse de jeunes innocents et victimes à la fois pour assouvie leurs ambitions de pouvoir. Dès lors, le pays devait vivre dans un non-système : ni junte militaire ni pouvoir civil, ni parti unique ni multipartisme, juste un syncrétisme incohérent.
Depuis, toutes les élections étaient pour le moins arrangées, les partis politiques totalement emmaillotés et enfin les médias, au mieux, surveillés. Le système mis en place, hybride et sans objectifs sinon ceux de la sécurité de l’édifice étatique et du contrôle de la rente, ne pouvait offrir une stabilité sur le long terme et encore moins une vision d’avenir.
La peur du changement, la menace des dérives idéologiques et les inquiétudes quant à un environnement potentiellement hostile ont même permis en 2014, qu’un homme totalement handicapé restât à la tête de la République. L’Etat, au fil des ans, perdait de sa cohérence interne et de sa substance doctrinale. Malgré le respect des échéances électorales successives depuis 1995, celles-ci se vidaient, à chaque rendez-vous, de leur légitimité. Elles alimentaient encore plus la défiance populaire et encourageaient l’abstentionnisme. Locales, législatives ou présidentielles, les élections étaient perçues, de plus en plus, comme ce qu’elles étaient en vérité : une opération de ravalement d’une même façade.
Les dernières élections présidentielles de 2024 auront été l’ultime manifestation d’une faillite d’un ordre politique qui aura broyé une génération d’Algériens sans apporter ni la démocratie du multipartisme ni l’efficacité du système autoritaire, ni même le repos pour les « décideurs ». L’entre-deux chaises est devenu la norme et le malaise politique une fatalité. Que choisir entre un modèle autocratique qui a engendré la crise du parti unique et celui d’une démocratie libérale encore plus dangereuse promettant une guerre civile à la clef ?
Le modèle démocratique multi-partisan est né en Europe. Ses premières esquisses avaient été dessinées avec la révolution anglaise de 1688, puis peu à peu finalisées, après la révolution française de 1789. La démocratie avec des institutions tels que nous les connaissons aujourd’hui, ne s’est imposée largement dans le monde dit « libre » qu’au début du XXe siècle, voire dans certaines nations, qu’après la deuxième guerre mondiale. Cependant, après la chute de l’URSS en 1991, le monde s’était rapidement globalisé sous la houlette des Etats-Unis avec un agenda libéral. L’absence de contrepoids à « l’hyperpuissance » a finalement nourri son ambition de dominer le monde. Elle avait les moyens humains, matériels, financiers, militaires… pour imposer son autorité. La géopolitique est alors devenue l’axe central de sa stratégie.
Le rapport de force comportait un volet idéologique construit sur le discours sur les droits de l’homme et la démocratie, chevaux de Troie pour influencer les politiques des pays à la souveraineté balbutiante. Malheureusement, l’instrumentalisation de ces concepts dans des conflits de domination et le décrochage de la rhétorique du réel ont peu à peu dévitalisé ce qui faisait l’essence de la démocratie et de l’Etat de droit. L’hypocrisie dévoilée entrainera la bonne morale de l’Occident dans le précipice des rebus de l’histoire.
Aujourd’hui, la démocratie libérale bat de l’aile. Elle vit une crise profonde aggravée par les conflits militaires endémiques et surtout par les graves difficultés économiques émergeantes. Le modèle devient fragile d’autant plus que des pays réputés illibéraux, tels la Russie ou la Chine, sont en pleine ascension.
L’Algérie, lestée de son expérience passée, formatée dans un système rigidifié en réaction à une contestation interne pouvant devenir un instrument de déstabilisation, doit pourtant sortir du milieu du gué : soit revenir à un passé autoritaire, centralisateur et bureaucratique selon la philosophie du despote éclairé (dans les faits, malheureusement, trop souvent inéclairé) soit faire le pas et organiser une évolution de ses structures politiques vers l’intégration du citoyen algérien comme acteur de son destin. La politique hybride qui a été menée jusqu’à maintenant ne peut plus répondre aux défis qui se dressent devant nous.
Notre fausse démocratie a perdu ses oripeaux et est devenue impudique. D’ailleurs, le Chef de l’Etat revient, à chaque intervention, sur sa volonté de réaliser une « vraie démocratie », reconnaissant par-là que nous ne la pratiquons pas actuellement. Cependant, tous les actes de gouvernance et les projets de lois, politiques, économiques et sociaux adoptés nous renvoient vers le modèle autocratique. Le fossé s’élargit donc entre le discours et les actes, entre l’intention déclarée et les calculs en coulisses.
La réforme des codes de la commune et de la wilaya en cours d’adoption prévoit la mise sous tutelle administrative des assemblées locales et renforce les pouvoirs du wali, désigné par le Président de la République selon ses convenances et sans obligation de bilan sinon à sa hiérarchie et de manière discrétionnaire.
Quant aux nouvelles lois sur les associations et les partis politiques, elles établissent leur complet assujettissement au ministère de l’intérieur, entités considérées et traitées a priori comme de potentiels instruments de subversion dont il faut contrôler jusqu’à la caricature, chacun de leurs gestes. Ajoutons à cette mise au pas, un code électoral qui agit comme un levier de dissolution de toute autorité des directions des partis politiques en imposant des « listes de candidatures ouvertes » sans possibilité de désigner des têtes de listes. Les partis étant transformés en de simples bureaux d’enregistrement des candidats aux élections. Enfin, concernant les garanties pour des élections transparentes, le système des commissions de contrôle a été démantelé au profit d’une gestion directe des urnes par une autorité totalement inféodée au pouvoir en place. Les élections sont devenues dans les faits et par différents subterfuges, un processus de désignation aux postes d’élus !
En conclusion, il est maintenant clair que le choix du pouvoir politique est de suspendre toute velléité d’autonomie des partis politiques dont le nombre sera drastiquement réduit par l’effet de dispositions d’exclusion. Les dirigeants des partis « rescapés » seront en fait négociés avant toute « élection » interne pour adouber les leaders imposés. En cas de velléité d’autonomie, le ministre de l’intérieur aura toute latitude pour « normaliser » le cours des choses.
Nous basculons donc dans une forme de séquestre de la vie politique par une administration bureaucratisée, largement corrompue et incapable de se renouveler sinon par cooptation clientéliste et népotique. Le retour au carcan autoritariste et au bâillonnement de toutes les libertés va finir par approfondir une rupture dramatique entre l’Etat et les citoyens. Et ce ne sont pas les mesures populistes de distribution de la rente et d’achat de la paix sociale qui calmeront les sentiments dus au refoulement des espoirs, voire le rejet violent de l’autorité de l’Etat.
Si la « nouvelle Algérie » se révèle n’être qu’un reset des vieilles méthodes et de la vieille mentalité, le peuple, encore une fois, sera devant le dilemme : se révolter activement ou se révolter par la démobilisation. Dans les deux cas, l’Algérie sera perdante.
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