Merci, Soufiane Djilali, d’avoir accepté notre invitation. Alors, vous êtes président du parti politique algérien Jil Jadid, qui signifie « nouvelle génération ». Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier qui vient de paraître, qui s’intitule La Modernité : Genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine.
Tout d’abord, merci de m’accueillir, et je remercie Oumma TV qui, à chaque fois, m’ouvre ses portes.
En fait, cet ouvrage parle de la modernité occidentale parce que, en réalité, je voulais poser la problématique de la sortie de la société traditionnelle qu’on est en train de vivre en Algérie. On s’oriente vers quelque chose, et ce quelque chose, pour certains, c’est la modernité ; pour d’autres, c’est le retour aux sources. Mais qui, en réalité, est impensé. Donc, ce n’est pas le développement en tant que tel qui n’a pas été pensé, ce n’est pas que les élites algériennes ne pensent pas l’avenir, mais c’est cette modernité-là, en tant que projet de société, qui n’est pas pensée.
C’est pour ça que je dis : nous sortons d’une situation qui se caractérisait par un certain nombre de rapports à l’intérieur de la société, mais nous n’avons pas réfléchi où nous allons. Et c’est ça qui pose question.
Dans ce dernier livre, ce que je voulais, c’était traiter de la modernité telle qu’elle est apparue en Europe, puisque c’est son lieu d’élection, et qu’est-ce qu’elle signifie, au-delà des discours. Est-ce que c’est simplement un discours philosophique ? Une approche intellectuelle ? Ou est-ce que c’est une réalité qui s’est développée au fur et à mesure ? Et est-ce qu’elle a été orientée de manière à ce que, par la suite — et le prochain ouvrage —, c’est de mettre en perspective ce que peut faire la société algérienne, vers quoi elle devrait tendre.
Est-ce qu’on peut et on souhaite devenir ce qu’est la société occidentale aujourd’hui ? Ou au contraire, éviter peut-être certains écueils, certaines erreurs, ou essayer de tirer profit de cette expérience-là ?
La réponse devrait se retrouver dans le prochain ouvrage, mais on peut en parler quand même un petit peu. Le problème de la modernité est que peut-être il y a une forme de submersion dans une matérialité totalisante et un individualisme.
En fait, qu’est-ce qui différencie fondamentalement la société traditionnelle de la société moderne ? Malgré les différences qui peuvent exister ici ou là, la société traditionnelle, globalement, c’est l’individu au service du groupe. La société moderne, par la liberté, par la rationalité, par le matérialisme, c’est la société qui finalement devient au service de l’individu.
Or, cela pousse à une forme d’égoïsme et à une forme de perte de repères, où il n’y a plus de transcendance, où le matériel devient le centre de tout. Je pense qu’autant une société qui se construit au détriment de l’individu, autant une société qui se construit au détriment de la collectivité, en faveur forcément d’une minorité d’individus, pose problème.
Il faut peut-être chercher une solution dans ce qu’on pourrait appeler une société d’individus conscients, mais responsables de la collectivité. Donc, comment rééquilibrer ? Comment faire en sorte que l’individu soit totalement autonome, conscient de sa vie, conscient de sa responsabilité, qui veut s’épanouir intellectuellement, spirituellement, matériellement, moralement, mais qui, en même temps, tout ce développement-là ne se fait pas au détriment de la collectivité, que ça se fasse en harmonie ? C’est cet équilibre qu’il faut peut-être rechercher.
Oui, vous savez, parfois il faut provoquer un petit peu la réflexion et le débat. La mondialisation, dans le sens globalisation, a été conduite depuis au moins une trentaine d’années, peut-être dès la chute de l’URSS. Il y a eu un transfert très important des activités de production des pays industrialisés vers des pays qui étaient à ce moment-là dits sous-développés ou en voie de développement.
Or, l’Algérie, à ce moment-là, ne s’est pas ouverte. On peut comparer avec, par exemple, la Chine ou le Vietnam, ou beaucoup d’autres pays asiatiques, ou même ailleurs, qui ont bénéficié de ce transfert de l’industrie, de la technologie, et ça leur a permis de former des élites, des ingénieurs, de devenir relativement autonomes dans la production, et puis aujourd’hui de concurrencer complètement les pays qui étaient industrialisés à ce moment-là, qui eux se sont désindustrialisés puisqu’ils s’étaient orientés vers des économies de services, plutôt d’ingénierie financière, etc.
Or, l’Algérie, depuis les années 80-90, était rentrée dans un cycle de grande difficulté, de violence dans les années 90, et donc on a raté le tournant de la mondialisation, lorsqu’il y avait cette possibilité de s’ouvrir pour accueillir les investissements extérieurs et en faire un levier de développement. Nous ne l’avions pas fait.
Aujourd’hui, en 2025, il est évident que nous entrons dans une nouvelle phase, qui est celle de la démondialisation. On le voit bien maintenant avec l’arrivée de Trump au pouvoir aux États-Unis, qui veut de nouveau rapatrier l’industrie aux États-Unis, qui met en place des taxes douanières, et donc on va contre le libre-échange. Tout ce qui était donné comme presque sacré — c’était le consensus de Washington —, la liberté complète, la liberté d’échange, le commerce international, la fabrication des objets éclatés sur plusieurs continents, etc., tout ça semble être un peu dépassé aujourd’hui.
Les grands pays industrialisés, ou anciennement industrialisés, veulent récupérer cette puissance productive. Et dans ce mouvement de démondialisation, on voit bien qu’apparaît plusieurs pôles de puissance. Ce sont de nouveaux centres de pouvoir dans le monde, et donc un monde multipolaire qui se présente à nous.
Alors là aussi, où allons-nous en tant qu’Algérie ? Il y a eu la tentative de s’intégrer aux BRICS, ça a été une tentative qui a avorté. En fait, on est ni dans le camp de la Russie, ni dans celui de la Chine, ni dans celui des États-Unis, ni dans celui de l’Europe.
Est-ce que l’Algérie peut se développer par elle-même, par ses propres moyens, en autarcie ? Je pense que la réponse sera donnée par tout le monde : il n’est pas possible, dans le monde actuel, où on voit bien que cette technologie, les industries nouvelles, l’intelligence artificielle, etc. — où sommes-nous ?
Donc, l’Algérie doit faire ses choix maintenant. Nous ne pouvons plus bénéficier de la mondialisation, puisque c’est un processus qui est en voie d’être fermé, fini. Mais comment allons-nous essayer de nous intégrer dans un monde multipolaire ?
Oui, l’environnement géopolitique s’oriente maintenant — et tout le monde le reconnaît, à commencer par ceux qui étaient à la tête du monde unipolaire, c’est-à-dire des États-Unis —, puisque la déclaration de plusieurs premiers responsables de l’équipe de Trump reconnaissent directement que nous entrons dans le monde multipolaire.
Mais ce monde multipolaire, c’est quoi ? Vous avez des concentrations de puissance aux États-Unis, bien sûr, en Chine, qui apparaît comme l’outsider et qui monte en puissance de manière très visible. Vous avez aussi la Russie, vous avez d’autres pôles — je ne sais pas s’il faut dire secondaires, mais en tout cas qui sont en voie d’émerger en tant que pôle —, c’est le cas de l’Inde, c’est le cas d’autres pays.
Et l’Algérie, dans tout ça, doit choisir son environnement. Est-ce qu’il faut choisir la Chine ? Et qu’est-ce qu’on peut offrir à la Chine pour qu’elle nous offre aussi, en retour, ce dont on a besoin ? Ou est-ce qu’il faut travailler avec les États-Unis ? Ou alors, de manière beaucoup plus proche, l’Europe ?
Puisque l’Europe, en réalité, elle se pose elle-même des questions sur son identité. Est-ce qu’elle est capable de se former en pôle ? Est-ce qu’elle est capable de défendre des intérêts collectifs ? Est-ce qu’elle est en mesure de contrebalancer les effets des autres centres de pouvoir ?
Mais si l’Europe peut se constituer en pôle, l’Europe restera insuffisante par elle-même. Elle a besoin d’étendue, de surface, elle a besoin de démographie, elle a besoin d’énergie — toutes choses que, généralement, le Maghreb, mais on peut le dire plus précisément, l’Algérie peut offrir dans un rapport nouveau qui pourrait être créé.
Mais ça, il nous faut une perspective, une négociation, et savoir placer l’Algérie dans un jeu où on peut avoir de multiples partenaires, plusieurs amitiés, j’allais dire, et si possible zéro hostilité.
C’est-à-dire travailler très bien avec les Russes, par exemple, sur le plan sécuritaire, comme on l’a toujours fait, puisque l’armée algérienne est liée par son matériel, par la formation de ses militaires, etc., à la Russie. On peut travailler très bien avec les Chinois sur les grandes infrastructures — ils offrent des prix intéressants —, mais on peut travailler aussi avec l’Europe.
Et l’Europe, il peut y avoir beaucoup d’échanges dans l’agro-industrie, dans la petite et moyenne entreprise, dans les technologies, dans les services, etc. Donc, l’Europe, par la proximité géographique, je pense, est l’un des pôles qui finira par aspirer à tirer un petit peu le Maghreb vers elle.
Je regrette profondément cette attitude de la part d’une partie de la classe politique française. Parce qu’il peut y avoir des problèmes entre des gouvernements, parfois il y a des affrontements sur des intérêts des uns et des autres.
Vous savez bien que les États, en général, on les qualifie de « monstres froids » : il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. Tout ça, on le dit, c’est très facile de le répéter. Mais je pense qu’il y a aussi des intérêts plus profonds, plus importants.
Et quand vous êtes en France, par exemple, il y a une bonne partie de la population française qui a une relation directe avec l’Algérie. Vous avez autant d’Algériens de nationalité algérienne qui résident en France, ils y travaillent, ils paient leurs impôts, mais vous avez aussi beaucoup de Français d’origine algérienne — ce qui commence à compliquer le problème —, et vous avez aussi des enfants de couples mixtes qui sont autant français de souche qu’algériens.
Jouer avec cette relation dans le cadre d’un gain politicien électoraliste, je pense que c’est une très mauvaise image, et les conséquences peuvent être quand même assez graves. Parce que la société française n’est pas très homogène aujourd’hui sur ce plan-là. Il y a plusieurs lignes de fracture, et jouer sur les fractures elles-mêmes pour bénéficier de plus de voix, je pense que ce n’est pas très responsable.
Je n’attendais pas ça de la part d’hommes d’État, ou qui se veulent être des hommes d’État. Régler un problème de fond avec un autre pays, ça rentre dans les prérogatives de la souveraineté de chacun. Mais utiliser une relation un petit peu difficile, compliquée, pas pour des raisons historiques, humaines, etc., l’utiliser dans le cadre d’un gain politicien, je pense que c’est un mauvais exemple, et ce n’est pas à l’honneur d’un État de droit et d’une démocratie centenaire.
Merci à vous, Soufiane Djilali. Merci.
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