Avec l’aimable autorisation de l’auteur
Il fut un temps où les nations pouvaient refuser de choisir un camp. Ce temps est révolu. Dans un monde fracturé par une nouvelle guerre froide – cette fois technologique – les pays comme l’Algérie n’ont plus le luxe de l’ambiguïté stratégique. Il leur faut choisir. Ou plutôt : s’aligner. L’article stimulant d’Alexandre Kateb sur la course mondiale aux infrastructures d’intelligence artificielle a agi sur moi comme un révélateur. À mesure que les États-Unis, la Chine et les monarchies du Golfe se livrent à une escalade d’investissements dans les centres de données, les puces, les modèles de fondations et les plateformes souveraines, une évidence s’impose : le monde entre dans une nouvelle ère d’infrastructures technopolitiques. Et dans cette ère, il n’y a pas de place pour les non-alignés.
https://multipolarite.substack.com/p/geopolitique-de-lintelligence-artificielle?r=5bgets
Pendant la guerre froide, le non-alignement fut un acte de courage et de lucidité. Il permettait aux pays décolonisés de préserver un semblant de souveraineté dans un monde structuré par deux empires idéologiques et militaires. L’Algérie y joua un rôle moteur, en assumant un positionnement tiers-mondiste à la fois revendicatif et visionnaire. Mais aujourd’hui, ce paradigme ne tient plus. L’infrastructure est devenue politique. Le cloud est devenu territoire. La donnée est devenue monnaie. Comme l’explique brillamment Asma Mhalla dans “Technopolitique”, nous sommes entrés dans une ère où la souveraineté ne se joue plus sur les cartes mais dans les câbles, les algorithmes et les standards techniques. La domination ne passe plus par les tanks, mais par les GPU et les LLM. Dans ce nouveau monde, il ne suffit plus de proclamer sa neutralité. Car ne pas choisir, c’est déjà être assigné à la périphérie.
Certains rêveront d’une troisième voie. D’un “non-alignement numérique”. Illusion dangereuse. La réalité est plus crue : soit nous nous arrimons intelligemment à un des deux blocs techno-industriels (américain ou chinois), soit nous restons à la traîne, simples consommateurs captifs, sans capacité à influer sur les normes, ni à peser dans les écosystèmes. Chaque option comporte ses avantages et ses pièges. L’alignement avec les États-Unis, c’est l’accès aux technologies les plus avancées, aux écosystèmes de startups, à une innovation dopée par le capital-risque. Mais c’est aussi la soumission aux logiques d’extraterritorialité, à la culture de la dépendance API, et au règne d’une technocratie privée. L’alignement avec la Chine, c’est une promesse d’efficacité, de transferts, d’accompagnement stratégique. Mais aussi le risque d’une dépendance opaque, d’un enfermement normatif, d’une gouvernance autoritaire des infrastructures. Et l’Europe ? Absente du peloton de tête, fragmentée, hésitante. Et la Russie ? Engluée dans d’autres batailles. Ne nous berçons pas d’illusions.
Ce que j’essaie d’initier ici, ce n’est pas une tribune idéologique. C’est un appel à ouvrir un débat national stratégique, lucide, urgent, sans tabou. L’Algérie doit penser et assumer un alignement technologique réfléchi, fondé sur une doctrine claire : que voulons-nous maîtriser ? Quelles chaînes de valeur souhaitons-nous intégrer ? Quel degré de dépendance acceptons-nous en échange de quelle forme de souveraineté fonctionnelle ? Refuser de trancher, c’est renoncer à peser. Accepter de choisir, c’est se donner une chance de ne pas devenir, pour paraphraser Yanis Varoufakis dans “Les Nouveaux Cerfs de l’économie”, des utilisateurs asservis de technologies conçues ailleurs, sans contrôle, sans droit à l’erreur ni à la contestation.
Cette équation est d’autant plus complexe que l’Algérie affiche une forme de double jeu assumé : D’un côté, sa gouvernance autoritaire, sa méfiance historique à l’égard des ingérences occidentales, et la multitude d’accords déjà signés avec Huawei et d’autres acteurs chinois, tendraient à faire pencher la balance vers Pékin. De l’autre, elle multiplie les signaux positifs en direction de Washington, de la Silicon Valley et des institutions américaines, comme pour ménager un accès à l’innovation et à la reconnaissance. Ce jeu d’équilibriste est-il tenable à moyen terme ? Peu probable. Dans la guerre des blocs technologiques, il n’y aura pas de neutralité prolongée. Seulement des choix différés… jusqu’au moment où l’on ne pourra plus choisir.
À cela s’ajoute une donnée géopolitique brûlante : le conflit israélo-palestinien.
Alors que les États-Unis persistent dans un soutien inconditionnel à Israël, la Chine capitalise sur une posture plus équilibrée, cultivant un soft power bienvenu dans le monde arabe et africain. Ce facteur, qui semblait secondaire dans la réflexion technologique, risque bien de devenir déterminant dans le choix d’un alignement, car les infrastructures numériques ne sont jamais politiquement neutres.
À ce débat s’ajoute une autre carte, souvent sous-estimée : celle de l’énergie. Dans un monde où les infrastructures d’IA dépendent massivement de ressources énergétiques (data centers, entraînement des modèles, refroidissement, etc.), l’Algérie dispose d’un levier stratégique qu’elle n’a pas encore converti en influence géotechnique. Entre gaz naturel, potentiel solaire hors normes et ambitions autour de l’hydrogène vert, le pays peut – s’il structure une offre claire – devenir un partenaire énergétique de poids dans les architectures numériques globales. Encore faut-il le penser non comme une rente, mais comme un pouvoir de négociation dans la cartographie des futurs blocs technologiques. L’énergie doit être pour l’Algérie ce que les terres rares sont pour la Chine : un levier d’accès, pas un simple produit à vendre. Même si de son côté l’Algérie possède un incroyable potentielle terres rares non encore exploité. Une motivation de plus pour un alignement avec Pékin.
Mais l’énergie ne suffira pas. Car dans la guerre de l’IA, la vraie rareté n’est pas matérielle mais humaine. Et c’est là que réside l’un des handicaps majeurs de pays comme le nôtre : une pénurie criante de compétences numériques, amplifiée par la fuite des talents et un système de formation déconnecté des réalités du moment. Ce manque nous expose à une servitude numérique de plus en plus structurelle : nous aurons peut-être les tuyaux, mais pas ceux qui les conçoivent ; nous consommerons des modèles, sans jamais en fabriquer. La domination numérique ne s’exercera pas seulement via les technologies elles-mêmes, mais aussi via l’incapacité de certains pays à penser, coder, auditer, maîtriser ce qu’ils utilisent. À défaut d’une mobilisation nationale pour l’apprentissage, la recherche et l’expertise, nous ne serons pas seulement dépendants — nous serons captifs.
Ce que je propose
En relisant ce texte, une image me hante : celle d’une Afrique éclatée en cases numériques, chacune captée par un bloc technologique, soumise à ses standards, à ses outils, à ses narratifs. Comme dans le “Grand Échiquier” de Zbigniew Brzeziński , mais cette fois sans armée ni pétrole – seulement des API, des plateformes, des datacenters et une myriade d’accords bilatéraux aussi opaques que contraignants. À cette fragmentation technologique pourrait bien s’ajouter une paranoïa sécuritaire entre États africains, chacun soupçonnant l’autre d’être une tête de pont de puissances rivales. Surveillance croisée, guerre de l’information, diplomatie biaisée par les flux de données : voilà le spectre qui pourrait hanter le continent si aucun cadre de coopération panafricain n’est mis en place.
Ce n’est, pour l’instant, qu’une intuition. Mais l’histoire nous a appris que les intuitions géopolitiques, lorsqu’elles ne sont pas anticipées, deviennent vite des malédictions.
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