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Par Soufiane Djilali

 

Depuis une dizaine d’années, l’Algérie est entrée dans la phase finale de la vie de sa première République. En un peu plus de soixante années d’indépendance, elle est désireuse et prête pour une deuxième République, qui seule, pourra la propulser dans un monde en pleine métamorphose. Pour préparer cet avenir, il faut d’abord comprendre les dynamiques qui ont été en jeu durant cette période.

Dès son indépendance, le pays s’était mis à l’œuvre pour construire un système politique dont les racines remontaient à la guerre d’indépendance, elle-même nourrie par une culture nationale qui s’était cristallisée durant les 132 ans de présence coloniale.

Construire un Etat moderne et souverain, consolider une Nation dont les fondements avaient été, à plusieurs reprises, ensevelis par les vicissitudes de l’histoire et surtout surmonter les divisions intestines qui avaient miné l’échafaudage politique post-colonial, étaient les objectifs stratégiques des pouvoirs successifs bien que mal définis, flous ou même impensés.

La sécurité du pays et de l’Etat, la centralisation politico-administrative de la gestion du territoire et des populations, le contrôle de la rente et l’imposition d’une pensée unique populiste étaient les outils choisis pour mettre en œuvre la transformation du pays.

Cependant, près de trois décennies après l’acquisition de l’indépendance, les données de base avaient largement évolué. La population avait entretemps doublé, les nouvelles générations étaient dorénavant largement alphabétisées et la société traditionnelle était entrée dans une phase de déstabilisation, voire d’une remise en cause profonde. L’émergence de nouvelles valeurs, considérées comme modernes, en particulier celles permettant l’évolution du statut de la femme dans une société en voie de sécularisation, avaient ouvert de nouvelles perspectives mais en même temps, effrayé les parties les plus conservatrices de la population.

Dès la fin des années 80 du siècle passé, l’échec du modèle économique socialiste avait été sanctionné par la baisse brutale de la rente des hydrocarbures due à des turbulences internationales. La récession économique, le chômage et la malvie ont alors brisé le pacte social. A ce reflux socio-économique s’ajouta la remise en cause des valeurs traditionnelles de la société et un trouble identitaire qui ont fini par délégitimer le pouvoir politique en place. Le parti unique et le socialisme avaient épuisé leur potentiel sans avoir mis sur orbite la dynamique de développement économique et social. La société piaffait d’impatience et de ressentiments. Une ouverture politique, sur le modèle libéral devenait inévitable.

Dans le monde, à cette époque, la Chine communiste apparaissait comme un pays encore sous-développé et l’URSS était en plein effondrement. Il n’y avait donc plus de modèle de développement alternatif à celui de l’Occident libéral désormais vainqueur haut la main face à ses détracteurs.

Maintenir la stabilité du pays, sa souveraineté et sa dynamique de développement devenait un défi grave face à la perte de la « légitimité historique » de la direction politique, à la crise socio-économique et, pire encore, à la réaction et à la dérive idéologique islamiste, populiste et violente alors en pleine ascension.

Les autorités ont alors tenté le basculement du pays dans le modèle démocratique, ouvrirent le champ politique et médiatique, et entamèrent une libéralisation économique sous les fourches caudines des institutions financières internationales.

Malheureusement, la violence islamiste avait pris le pas sur la tentative d’ouverture. Le terrorisme a pris alors une dimension de guerre civile au nom d’un modèle idéologique religieux et d’un processus démocratique avorté. L’Etat s’est alors partiellement effondré, seule l’institution militaire le maintenait encore debout.

Cette phase de désagrégation violente du pouvoir politique dura une dizaine d’années, puis une phase de reconstruction durant une autre décade permis à l’Etat de perdurer. L’activisme international du pouvoir politique durant les années 2000 et l’augmentation des prix des hydrocarbures offrit au pays ce répit salvateur dont il avait un besoin vital. La population, encore sous le choc des années de terrorisme, voulait, elle aussi, tourner la page de la subversion et se réfugia ou du moins se résigna auprès des forces de l’Etat.

Cependant, les graves erreurs stratégiques et éthiques du pouvoir, particulièrement à partir des années 2010, réanimèrent de nouveau les forces centrifuges. Cette fois-ci, c’est le cœur du système qui allait être ébranlé.

C’est que le pouvoir politique avait mis son intérêt égoïste au-dessus de celui de la patrie. Pour se maintenir aux commandes, il lui fallait sacrifier une partie de lui-même au détriment de sa cohésion interne. L’armée et les services de sécurité se brisèrent et prêtèrent le flanc à de multitudes interférences tant internes qu’externes.

Face au danger imminent d’un chaos final, le peuple algérien intervint. Le Hirak et avec lui, l’ensemble des forces qui l’animèrent, réussirent à éviter le pire, c’est-à-dire la désagrégation de l’Etat. C’était un moment populaire vertueux qui donna un immense espoir. Les élections de 2019 devaient traduire, par les actes, les changements devenus une exigence. Les promesses ne furent pas tenues ; le système, bien qu’en voie de déliquescence, continua à survivre, faute d’une alternative apte à créer un nouveau pacte social.

La phase post-Hirak n’a finalement été qu’une occasion de prolongation d’une période stérile, qu’une simple convulsion supplémentaire d’un système devenu obsolète, anachronique, nuisible mais résilient.

Le tableau synthétique du bilan est aujourd’hui clair :

        Délégitimation du système politique,

        Délitement des institutions politiques qui n’ont plus aucune prise sur la société (APN, APW, APC),

        Recroquevillement de l’institution militaire sur elle-même, semblant se désintéresser de l’avenir politique de l’Etat,

        Concentration absolue des pouvoirs politique, exécutif, législatif, judiciaire, économique et médiatique par un groupe d’hommes centrés sur le Président de la République,

        Politique répressive systématique de toute opposition dans tous les secteurs,

        Fermeture totale de la vie politique et médiatique,

        Ralentissement, voire étouffement de la dynamique économique,

        Grave abdication anticonstitutionnelle sur les richesses minières du pays en passe d’être adoptée par une assemblée nationale aux ordres, remettant en cause la souveraineté nationale et dont l’objectif est pour le moins douteux.

        Généralisation de la corruption,

        Isolement diplomatique prononcé et reflux des positions nationales sur des questions stratégiques,

        Dégradation des partenariats internationaux et mésalliance générale,

        Positionnement géostratégique incompréhensible,

        Perte de confiance massive des citoyens,

        Désertion active de la citoyenneté,

        Désinvestissement politique et affectif des citoyens vis-à-vis de la patrie,

        Démoralisation profonde du pays.

La situation du pays exige maintenant clairement un changement profond, une refonte institutionnelle consensuelle significative et la programmation d’une nouvelle perspective nationale, autrement dit, une deuxième République.

 

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