Triple contrôle des importations : protéger ou asphyxier ?
En Algérie, l’importation de biens et services s’apparente à un parcours du combattant, où chaque opérateur économique se heurte à trois barrières successives : administratives, bancaires et douanières. Un système qui, dans sa conception officielle, est présenté comme un pilier de la souveraineté économique du pays, censé protéger la production nationale face à une concurrence déloyale, préserver les devises nationales dans un contexte de dépendance aux hydrocarbures et lutter contre la fraude, surfacturation et transferts illicites de capitaux. En théorie, c’est un mécanisme de défense économique qui permet à l’État de garder la main sur son marché et d’éviter une ouverture incontrôlée qui fragiliserait le tissu productif local.
Toutefois, à y regarder de plus près, ce modèle de régulation économique ressemble davantage à une machine à bloquer qu’à une stratégie cohérente de protection. Si les intentions affichées sont louables, les effets réels de ce triple contrôle sur l’économie algérienne peuvent être tout autre : des lourdeurs bureaucratiques qui ralentissent les opérations et augmentent les coûts logistiques ; un climat d’incertitude pour les importateurs, freinant l’investissement et l’approvisionnement ; une inflation importée, la rareté organisée des produits conduisant à la hausse des prix ; l’alimentation du marché parallèle, le blocage des circuits officiels encourageant le recours au change informel et à des circuits opaques.
Le triple contrôle, loin de lutter efficacement contre les fléaux qu’il prétend combattre, va finir par les exacerber. En asphyxiant les circuits légaux, on alimente un marché noir qui va pouvoir s’épanouir en toute liberté. La rareté organisée créé un terreau fertile pour des acteurs peu scrupuleux qui profitent des manques sur le marché officiel.
Les objectifs affichés par le gouvernement à travers ce triple contrôle sont pourtant clairs : réduire la dépendance aux importations, préserver les devises, et protéger la production nationale. Cependant, ces objectifs restent largement inaccessibles tant que la structure du système demeure inchangée.
Si l’Algérie veut réellement atteindre la souveraineté économique, elle doit aller au-delà de la simple fermeture des canaux commerciaux légaux. Il ne s’agit pas de fermer les frontières économiques, mais de créer les conditions nécessaires à une compétitivité nationale durable. L’enfermement dans une économie de rentes et de blocages administratifs ne fait qu’aggraver la situation, en décourageant l’initiative privée et en renforçant les pratiques de corruption.
Aujourd’hui, la priorité devrait être donnée à une réforme de fond du système d’importation. Plutôt que de multiplier les obstacles administratifs et de laisser place à un contrôle bureaucratique sans fin, il est impératif de simplifier les procédures pour les acteurs économiques honnêtes, de numériser et de rendre transparent le processus d’importation. Un tel modèle permettrait non seulement de limiter les coûts de transaction pour les entreprises, mais aussi de renforcer l’efficacité des contrôles en les orientant vers des objectifs précis : assurer la qualité des produits, vérifier leur conformité aux normes, et garantir le respect des règles fiscales et commerciales. Le contrôle doit devenir un levier de compétitivité, et non un instrument d’asphyxie.
La vraie souveraineté économique ne réside pas dans des contrôles étouffants, mais dans la capacité à produire, à exporter et à se rendre compétitif face aux autres économies. Cela nécessite une ouverture ciblée et raisonnée aux marchés internationaux, tout en développant des stratégies d’intégration régionale et de diversification économique. En somme, il s’agit de repenser les mécanismes de régulation en fonction des réalités du marché global, et non pas à travers le prisme étroit d’une logique protectionniste qui, au bout du compte, enferme le pays dans une spirale de manque et de stagnation.
L’Algérie, comme toute autre économie émergente, a besoin de dynamiser son secteur productif, de faciliter l’accès aux marchés mondiaux et de favoriser les investissements. Mais cela ne pourra se faire sans un cadre économique et réglementaire cohérent et transparent. Or, les pratiques actuelles d’obstruction et de bureaucratie ne font qu’alimenter un système de rente et de spéculation, qui finit par nuire à la compétitivité du pays.
Les réformes doivent se concentrer sur l’efficacité et la rationalisation des contrôles. Plutôt que de multiplier les obstacles, il faut investir dans des solutions modernes de gestion des importations, par exemple à travers la digitalisation des procédures douanières et une meilleure coopération entre les différents acteurs de la chaîne logistique. Les technologies modernes peuvent offrir des solutions innovantes pour fluidifier les échanges commerciaux, réduire les coûts et limiter les risques de corruption.
Il est également nécessaire d’instaurer une véritable politique de soutien à la production nationale, notamment en investissant dans la compétitivité des secteurs stratégiques. La véritable protection de l’industrie locale passe par l’innovation, l’amélioration des infrastructures, la formation des compétences et le soutien à l’entrepreneuriat. Cela permettra à l’Algérie de sortir de cette logique d’auto-privation et de dépendance excessive à l’importation.
Enfin, il est crucial de réexaminer la gestion des devises. Les mécanismes actuels ne font que renforcer le marché parallèle, où les devises se cherchent à prix d’or. Une réforme monétaire et bancaire s’impose pour garantir un système de change stable et transparent, qui serve réellement les intérêts du pays.
En conclusion, l’Algérie doit repenser sa stratégie économique en mettant fin à ce triple contrôle oppressant, et en le remplaçant par un système plus souple, plus moderne et plus transparent.
La protection de l’économie nationale ne doit pas se traduire par la punition des acteurs économiques honnêtes, mais par la création d’un environnement propice à la compétitivité, à l’innovation et à la croissance durable.
La souveraineté économique ne doit pas être prisonnière d’une vision bureaucratique et punitive. La souveraineté économique véritable s’obtient en ouvrant des horizons et en permettant aux acteurs économiques de s’épanouir dans un cadre repensé, structuré et régulé pour accompagner l’initiative privée et ouvrir des perspectives à la production nationale.
Par Zoheir Rouis
Vice-président de Jil Jadid
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