à la une

Diaspora algérienne : l’heure de vérité … pour qui ?

Temps de lecture : 4 minutes

Diaspora algérienne : l’heure de vérité … pour qui ?

Par Zoheir Rouis  

Vice-président de Jil Jadid  

 

L’éditorial de Crésus intitulé « Diaspora algérienne : l’heure de vérité a sonné » paru le 13 août 2025, a au moins le mérite d’ouvrir un débat. Mais à force de dénoncer, il oublie d’analyser. À force de pointer du doigt, il omet de remonter à la source des vraies responsabilités. 

Oui, la diaspora algérienne, malgré son nombre, ses qualités et ses forces évidentes, est traversée par des contradictions. Oui, elle est multiple, éclatée, parfois désorganisée. Mais non, elle ne porte pas seule, le poids d’un échec collectif. Lui imputer à elle seule les dysfonctionnements qui découlent d’un demi-siècle d’absence de politique publique cohérente envers les Algériens de l’étranger est non seulement injuste mais factuellement faux. 

Les pouvoirs Algériens, par choix politique assumé,  ont toujours voulu une diaspora silencieuse, pas influente. 

Depuis des décennies, la diaspora algérienne n’est pas accompagnée, consultée, ni même considérée comme une force à intégrer dans une stratégie nationale. Elle n’a jamais été pensée comme un levier suffisamment puissant pour défendre ses droits dans les pays de résidence, pour qu’en retour elle puisse devenir une force à mobiliser au service des intérêts politique et économiques de l’Algérie. Elle n’est mobilisée qu’à l’approche des élections, pour remplir des urnes plus que pour faire entendre une voix. 

Trop longtemps, les Algériens résidents a l’étranger, pourtant porteurs de compétences, ont été ignorés, pour ne pas dire méprisés. On a été jusqu’à légiférer pour les exclure d’un certain nombre de fonctions et d’avantages , … créant ainsi deux catégories de citoyens Algériens. 

Pourtant, l’histoire parle d’elle-même : sans la diaspora, l’indépendance nationale n’aurait pas eu la même issue. L’appui financier et logistique des Algériens installés en France, en Europe et au-delà, a été essentiel. Plus récemment, lors du Hirak ce sont encore des milliers d’Algériens de l’étranger qui ont manifesté, organisé des collectes, produit des contenus, et porté la voix du peuple dans les médias internationaux.  

Leur solidarité ne s’est jamais démentie lors des catastrophes naturelles : inondations, tremblements de terre ou la pandémie de la Covid-19. Qui peut encore douter de leur capacité a se mobiliser au service de l’Algérie ? Et pourtant certains ne se gênent pas de mettre en doute leur patriotisme. 

Reprocher à la diaspora de « se plaindre » du prix des billets ou des conditions douanières, c’est ignorer que ces critiques pointent un système verrouillé et inadapté. Le marché noir des devises en est la preuve la plus flagrante. Ce marché noir n’est pas un accident et il n’a pas été inventé par la diaspora algérienne. 

On reproche souvent à la diaspora de ne pas peser politiquement là où elle vit. Mais à telle été incitée et encouragée à le faire ? Faute de soutien, d’écoute et de cadre, elle s’est atomisée. 

Plutôt que de se demander ce que la diaspora ne fait pas, il est temps de se demander ce que l’État n’a jamais voulu faire. 

L’Algérie n’a jamais voulu d’une diaspora organisée et influente. 

Depuis l’indépendance, aucune stratégie cohérente et durable n’a été mise en place pour structurer la diaspora et en faire un acteur d’influence à l’étranger. Le réseau diplomatique n’a jamais été réellement mobilisé au service de cette ambition stratégique. 

Pourtant, le potentiel est immense : on parle de plus de 7 millions d’Algériens qui vivent hors du pays, souvent dans des zones stratégiques comme l’Europe, l’Amérique du Nord ou le Golfe. Beaucoup occupent des postes clés dans la recherche, l’économie, les médias ou la politique. Cette communauté ne manque pas de talents, d’expertises, ni de ressources. Elle a prouvé son patriotisme dans les moments décisifs de notre histoire. Ce sont autant de relais naturels pour défendre les intérêts du pays, influencer les débats internationaux et nouer des partenariats stratégiques. 

Là où d’autres nations ont créé de véritables lobbys diasporiques — à l’image des communautés arménienne, indienne, libanaise ou turque — l’Algérie a choisi l’inaction. Pire : chaque tentative d’organisation autonome est souvent perçue avec suspicion, comme une menace potentielle plutôt qu’une opportunité. Seules des  « initiatives » téléguidées sont tolérées, dans une seule et unique perspective : les élections.  

Organiser des colonies de vacances pour les enfants d’Algériens de l’étranger est une initiative louable. Mais cela ne peut masquer l’absence criante d’une mobilisation structurée et assumée de nos élus d’origine algérienne investis, des figures – institutionnelles ou non – capables d’occuper l’espace médiatique, et d’un réseau solide d’avocats et de juristes issus de la diaspora. 

Ce réseau pourrait, s’il devenait une priorité, influencer positivement les politiques étrangères vis-à-vis de l’Algérie, défendre les droits et la dignité de nos concitoyens partout dans le monde, et dissuader les attaques politiques ou médiatiques contre nos compatriotes et notre pays. Or, faute de vision stratégique et de volonté politique, ce potentiel reste inexploité. 

Les pays qui ont compris l’importance de leur diaspora et qui ont décidé de lui faire confiance, en ont fait un moteur de développement et un levier d’influence. L’Algérie, elle, se prive de cet atout stratégique. Aucune stratégie cohérente n’a été mise en place pour transformer ce potentiel en puissance d’action.  

Alors oui, il faut une remise en question. Mais pas seulement du côté des Algériens de l’étranger. C’est aussi l’heure de vérité pour un pouvoir inerte depuis trop longtemps, qui ne voit dans sa diaspora autre chose qu’un réservoir de voix et qui ne peut aujourd’hui lui faire porter la charge de son propre désengagement. 

قابة

Recent Posts

À CHAQUE PÉNURIE LA FUITE EN AVANT : LE RECOURS À L’IMPORTATION

L’Algérie fait face à un paradoxe économique récurrent : limiter les importations au nom de…

2 jours ago

Triple contrôle des importations : protéger ou asphyxier ?

Triple contrôle des importations : protéger ou asphyxier ? En Algérie, l’importation de biens et…

3 jours ago

OÙ EST LA TRANSPARENCE DANS TOUT CELA ?

L’Algérie s’est engagée, dans le cadre de la COP21 et de son Premier Rapport Biennal…

4 jours ago

Stimuler l’économie par la monnaie ? Le pari risqué de la Banque d’Algérie

Stimuler l’économie par la monnaie ? Le pari risqué de la Banque d’Algérie  La Banque…

4 jours ago

GOUVERNER : C’EST PRÉVOIR, C’EST ANTICIPER , C’EST PROTÉGER.

La décision annoncée de retirer de la circulation les bus, que dis-je les épaves, les…

2 semaines ago

Malaise dans la République

  Ontogénie du système politique algérien   Par Soufiane DJILALI   Une pensée stérile conduit…

1 mois ago