Référendum constitutionnel du 1er Novembre : risque ou opportunité ?

Référendum constitutionnel du 1er Novembre : risque ou opportunité ?

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Actualités : référendum constitutionnel par Zoheir Rouis*

Vingt mois après le début du Hirak, les Algériens sont appelés à se prononcer par référendum sur un projet de réforme constitutionnelle voulu comme une réponse aux revendications ainsi exprimées par des millions d’algériens dès le 22 février 2019.

Ce projet censé être une opportunité destinée à tirer les leçons du passé récent et à construire un Etat de droit, porte en lui un certain nombre de dispositions qu’on peut qualifier de vraies avancées, et d’autres qui laissent pour le moins perplexe tant elles sont insuffisamment volontaristes dans cet objectif de démocratisation du pays.

Que contient donc ce texte ?

Les dispositions qui représentent une avancée réelle et que nous ne pourrions ignorer sans nier la réalité sont, pour l’essentiel :

  • La liberté de réunion, de manifestation, de création d’association, de journaux et publications, sur simple déclaration,
  • De manière générale, un renforcement des libertés et des droits avec l’intégration de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 dans le préambule, mais aussi la réaffirmation des droits et de la protection de la femme algérienne et de l’égalité des citoyens, y compris de ceux qui résident à l’étranger. Le droit de pétition et la liberté d’entreprendre, mais aussi la liberté de la presse,
  • La sanctuarisation de Tamazight comme langue nationale et officielle,
  • L’intégration au préambule du rôle du Hirak comme volonté citoyenne de changement profond pour l’établissement d’un Etat de droit,
  • Un début d’autonomisation de la justice à travers un Conseil Supérieur de la Magistrature dont la composante est très majoritairement élue par les magistrats eux-mêmes et uniquement parmi les magistrats du siège, avec une présidence qui de fait va être déléguée au président de la Cour suprême,
  • Mais aussi une Cour Constitutionnelle, dont la ½ des membres est élue parmi les professionnels de la matière,
  • Une volonté de renouvellement et de rajeunissement des institutions avec des mandats limités dans le temps,
  • Ainsi que d’autres dispositions destinées à renforcer le rôle du parlement (contrôle du gouvernement et audition des ministres) et du gouvernement, en particulier en cas de cohabitation.

 

Pour autant, d’autres dispositions sont franchement déceptives, et non des moindres, car touchant à l’équilibre des pouvoirs, dont ceux encore exorbitants du président de la République, et insuffisamment tournées vers la consécration de l’Etat de droit. Les rédacteurs auraient pu aller plus loin, oser davantage, en particulier sur un meilleur équilibrage en faveur des prérogatives du chef de gouvernement et au profit d’une justice plus autonome, mais hélas ils semblent avoir atteint les limites de l’exercice et de la marge de manœuvre qui leur a été donnée.

 

Que faut-il alors penser de ce projet ?

D’abord se redire que ce projet de référendum constitutionnel, ou l’actuelle constitution, ou toute autre mouture, peut être bon ou mauvais, et les algériens le savent bien, n’a finalement pas d’importance si la pratique n’évolue pas. Si le respect des textes n’est pas une valeur et une conviction.
Il nous appartient donc de faire en sorte que le pouvoir, l’administration mais aussi le citoyen ordinaire acceptent et apprennent à respecter la loi, la règle, les devoirs.

Naturellement, l’exemplarité vient toujours de celui qui détient l’autorité, et de ce côté-là ce ne fut pas toujours une constance.

Donc au-delà du fait qu’il faille se battre pour avoir une bonne constitution, nous devrons inlassablement nous battre pour qu’elle soit respectée et appliquée.

Que ceux qui pensent qu’il faut refuser d’en débattre parce que le pouvoir ne l’appliquera pas ont tout simplement perdu de vue le sens du militantisme et de l’engagement politique.

Concernant le texte en lui-même, force est de reconnaître qu’il est, et malgré ses insuffisances, bien mieux que celui de la constitution actuelle. Il représente, dans le texte, une avancée certaine, même s’il n’est pas le texte idéal.

 

Aujourd’hui, le débat qui anime ce projet de révision constitutionnelle semble plus focaliser sur le contexte que sur le texte lui-même et les positions des uns et des autres semblent comme figées faisant de la participation un enjeu bien plus important que le texte proposé.

Au final, les questions qui méritent d’être posées sont, à mon sens, les suivantes :

1/ Le contexte politique actuel est-il à même de garantir une participation significative ?

En terme de contexte politique, il est évident que nous ne sommes dans une logique de participation significative. Il est clair, qu’au-delà du contexte sanitaire difficile, le contexte politique, avec le sujet des libertés en général et des détenus en particulier, ne favorise pas un climat de débat serein et orienté sur les enjeux réels d’une telle réforme. La responsabilité 1ère, nous l’avons déjà dit à Jil Jadid, incombe au pouvoir. Trop de fois la confiance a été trahie. Et nous avons là une défiance accumulée depuis des décennies.

Malheureusement cette défiance profite à ceux qui versent dans le populisme et le nihilisme, souvent hystérisés, voire instrumentalisés, et médiatisés. Une constance les anime : le rejet systématique des instruments naturels de médiation entre les citoyens et le pouvoir, que sont les partis politiques. Au final, ceux-là ne travaillent pas au renforcement du multipartisme et à la promotion du rôle des partis mais au statut quo dès lors qu’ils n’arrivent pas à tenter l’exigeante aventure partisane pour arriver au pouvoir. Dans leur esprit, le chemin le plus court pour y arriver est le chevauchement du Hirak pour être cooptés et intronisés. Ils sont dépourvus de toute volonté de changer les choses et uniquement soucieux de paraître par la contestation pour gagner en capacité de nuisance à transformer en maroquins le moment venu !

Par conséquent, refuser cette réforme, par un boycott massif ou un rejet, va-t-il améliorer l’ambiance générale ? j’ai un doute pour ne pas dire une certitude. Le pouvoir en sortira affaibli c’est certain mais au point de céder à ce rapport de force ? Si tel n’est pas le cas, nous pourrions alors rentrer dans une phase de blocage exacerbé avec un régime revenu à ses vieilles pratiques et une « opposition » nihiliste, mais néanmoins toujours tapis dans les institutions de Bouteflika, qui n’attend que ça pour prendre à témoin la rue sur le retour des méthodes du passé récent, l’enjeu pour elle étant de démontrer qu’elle a eu raison. A ce « jeu-là », à n’en pas douter c’est la situation globale du pays qui pourrait en pâtir !

 

2/ Que peut-il se passer si ce projet est rejeté par les électeurs ?

  • Constitutionnellement parlant nous resterions sur la Constitution de A Bouteflika de 2016, celle-là même que conteste de manière unanime l’opposition en raison de ses tares
  • Sur le plan de l’autorité politique, le pouvoir actuel en ressortira affaibli, c’est certain.

Donc sur le plan constitutionnel et des prérogatives des différentes institutions nous resterions figés et le pouvoir actuel sera donc exercé sur la base de cette constitution tant décriée.

Par ailleurs, et contrairement à ce que peuvent penser ou faire croire certains stratèges politiques à la petite semaine, le pouvoir actuel, parce que affaibli par ce rejet, va, mécaniquement, être tenté de se refermer et de se tourner vers les clientèles habituelles de l’ancien régime, dociles et en attente d’un signe, pour se donner un semblant de consensus, la nature ayant horreur du vide. Pour se faire, il organisera des élections législatives sur la base de la constitution et de la loi électorale actuelles et très vite nous assisterons à la réapparition des figures honnies et des pratiques détestables que le Hirak a dénoncées. Bien sûr, les partis qui se disent de l’opposition et qui sont encore à l’APN, pourront y prolonger leur séjour.

 

Dans ce contexte, et aujourd’hui plus que jamais, le rôle du politique est d’apprécier la situation avec sérieux, vérité, transparence, sens des responsabilités et du devoir envers la Nation.

Au cas d’espèce, son rôle est d’exposer les avancées réelles de ce texte et ses insuffisances, et d’éclairer l’opinion publique sur les enjeux de l’heure, les opportunités et les risques afin que les algériens, qui se sont désormais réappropriés leur citoyenneté à la faveur du Hirak, puissent se prononcer en leur âme et conscience et en toute connaissance de cause ! Et c’est ce à quoi s’emploie Jil Jadid sans tutelle aucune sur les citoyens et sans prétention mais avec confiance dans le degré de maturité de tout un chacun.

 

* Vice-président de Jil Jadid