Commémoration du 66ème anniversaire du déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954 – Heureux les martyrs qui n’ont rien vu

Commémoration du 66ème anniversaire du déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954 – Heureux les martyrs qui n’ont rien vu

Temps de lecture : 6 minutes

[CONTRIBUTION]

La guerre de libération nationale enclenchée le 1er Novembre 1954, ne peut être réduite à un appareil, un parti, un homme. Partant de ce principe, il s’agit aujourd’hui pour les nouvelles générations de s’interroger sur le sens des événements que recouvrent les mots de ce tournant politique majeur. Rappeler, aujourd’hui à l’attention de la génération postindépendance, les causes et les enchainements qui ont créés ce moment historique permettrait de leur faire comprendre sa signification et sa portée.

Le déclenchement de la lutte armée en Algérie a été déterminé par la radicalisation des luttes nationalistes et patriotiques en Tunisie et au Maroc. En effet, le rêve d’un soulèvement maghrébin généralisé était aux portes de l’Algérie. Mais, fondamentalement, la guerre de libération nationale est la résultante, surtout, de la poussée populaire ininterrompue et des dynamiques sociales depuis les événements tragiques du 8 Mai 1945. Depuis cette date, les algériens, excédés par les ratages politiques et électoraux de la solution politique proposée par les différents partis politiques d’alors (PPA-MTLD, UDMA, PCA) ou les Oulémas, ne demandaient qu’une seule chose : la lutte armée. L’Appel du 1er Novembre y a répondu. Bien évidemment, il ne s’agit pas là de jeter l’anathème sur les dirigeants politiques de l’époque.

Le sens capital de cet événement réside dans la nature politique et contractuelle d’une stratégie de libération nationale élaborée par le congrès de la Soummam. Malgré ses insuffisances militaires et l’improvisation organisationnelle, les actions entreprises le 1er Novembre 1954 relayées par la radio « Saout El Arab » ont créé un véritable choc psychologique et politique pour la population.

Aujourd’hui en ces temps difficiles, il devient vital pour les nouvelles générations de prendre connaissance du contenu de l’appel du 1er Novembre 1954 au peuple algérien pour pouvoir affronter le présent et l’avenir dans un pays à la dérive….

En résumé, l’appel disait :

«Peuple algérien, militants de la cause nationale. A vous qui êtes appelés à nous juger, notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussé à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bienfondé de nos vues dont le but demeure l’indépendance nationale dans le cadre nord africain. Notre désir aussi, est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents administratifs et autres «politicailleurs» véreux.  Nous considérons avant tout qu’après des décades de lutte, le mouvement national a atteint sa phase de réalisation. En effet, le but d’un mouvement national révolutionnaire étant de créer toutes les conditions d’une action libératrice, nous estimons que sous les aspects internes le peuple est uni derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action, et sous les aspects extérieurs le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs dont le notre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans. Les événements du Maroc et de la Tunisie sont à ce sujet significatifs et marquent profondément le processus de la lutte de libération de l’Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avons depuis fort longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action, malheureusement jamais réalisée entre les trois pays !

Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous relégués à l’arrière. Nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C’est ainsi que notre mouvement national terrassé par des années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé de soutien indispensable de l’opinion populaire. Dépassé par les événements, se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde Algérienne.

L’heure est grave. Devant la situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de JEUNES RESPONSABLES ET MILITANTS conscients ralliant autour d’elle la majorité des éléments encore «sains» et décidée à juger le moment venu de sortir le mouvement national de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence pour le lancer aux cotés des frères marocains et tunisiens dans la lutte révolutionnaire.

Et c’est ainsi que les « 22 » historiques réunis chez la famille DERRICHE à El Madania (Clos Salembier) décidèrent du déclenchement de la lutte armée. Les «Six » prirent, à Rais Hamidou( chez BOUCHEKOURA) la décision de la date du 1er Novembre 1954.

Plusieurs actions furent entreprises, mettant en émoi la population européenne. Le peuple Algérien avait pris son destin en main. La lutte a été longue, douloureuse, mais l’issue certaine au prix du sang ; le sacrifice suprême. Le peuple Algérien a arraché son indépendance, mais cette dernière lui a été confisquée!

Le premier président du GPRA Ferhat Abbas l’avait si bien dit. Il savait et voyait venir la course au «kourssi». L’indépendance acquise au prix fort après 132 ans de colonisation a été détournée par des assoiffés de pouvoir.

Tels des vautours autours de leur proie, ces valeureux « moudjahidines » ou supposés l’être (ceux des frontières Est-Ouest), suréquipés par l’opportuniste Houari Boumediene, se sont accaparé le pouvoir depuis le congrès de Tripoli, et en ont décidé autrement. L’armée des frontières a pris de force les destinées de tout un peuple qui se relevait de 7 années de guerre, une guerre impitoyable face à la 4ème puissance mondiale.

Le congrès de la Soummam initié par l’architecte et visionnaire Abane Ramdane, le martyr (assassiné par ses frères) sonnait le glas, en prônant « la primauté de l’intérieur sur l’extérieur » et surtout « du civil sur le militaire ». En effet, la guerre des clans se dessinait. L’extérieur avait pris le dessus sur l’intérieur. Les jeunes de l’époque n’étaient pas encore en mesure de comprendre. C’est bien plus tard, qu’ils commençaient à comprendre ce qu’est l’Homme lorsqu’il est frappé d’amnésie(une pathologie mentale !).

Après le coup de force contre Benyoucef Benkhedda, président du GPRA, l’Algérie basculera dans une guerre fratricide postindépendance. La zone autonome d’Alger dirigée par Yacef Saadi s’opposera aux maquisards de la wilaya IV. Il y a eu des dizaines de morts. L’histoire retiendra que la sagesse et la probité morale des deux présidents du GPRA ont sauvé l’Algérie d’un nouveau Congo.

Le peuple Algérien était loin d’imaginer la folie des hommes. Il était très loin d’imaginer que ses « leaders » politiques de la révolution allaient prendre le pouvoir avec une férocité presque bestiale. C’est ainsi que furent « liquidés »les dignes fils de la révolution. Abane, Amirouche, Benboulaid, Didouche, Chaabani, Khemisti et tant d’autres braves hommes ont payé le prix de leur attachement à cette terre prospère irriguée par le sang.

Sommes-nous frappés de malédiction ? La réponse est oui. Djamila Bouhired l’a si bien dit : « Nous n’avons pas suffisamment pleuré nos morts ». Elle disait vrai ! A ce jour l’héroïne continue chaque veille du 1er Novembre à aller se recueillir sur la tombe de sa « sœur d’arme » Hassiba Benbouali pour y déposer une rose à sa mémoire. Des vraies femmes d’honneur…..

Le culte de la personnalité a pris le dessus sur la raison et a ruiné l’Algérie. Les coups d’Etat ont fait leur apparition au grand désarroi des citoyennes et citoyens. Après la destitution du président du GPRA, feu Benkhedda, par Ahmed Benbella sous le coup de l’euphorie, qui sera lui aussi «déboulonné» par le coup d’état fomenté par Houari Boumediene le 19 juin 1965. D’où la constitution du conseil de la révolution auquel prit part Bouteflika, eh oui…Et c’est ainsi que nous vîmes la valse à «quatre temps» ; Chadli, Nezzar, Kaffi, Zeroual, et enfin Bouteflika.

On peut dire que ce que nous vivons actuellement est le résultat des coups d’Etat antérieurs. Ahmed Benbella a assassiné la démocratie en imposant le parti unique. Son fidèle allié Ferhat Abbas a renoncé à la présidence du sénat (assemblée constituante), composé de béni-oui-oui, semblables à ceux qui ornaient de leurs beaux burnous les salons du palais «Carnot».

Bizarrement, l’histoire se répète à chaque fois comme si cette terre prospère est vouée à vivre des crises permanentes.

Mais l’espoir est permis avec l’avènement du «Hirak» le 22 février 2019 qui a permis de faire «tomber» le système Bouteflika, et d’entrevoir des lendemains meilleurs pour ce pays meurtri.

Le nouveau pouvoir incarné par A. Tebboune multiplie les effets d’annonce pour une «Nouvelle Algérie», mais sa concrétisation effective tarde à voir le jour. Il est vrai, qu’à son arrivée, le nouveau gouvernement a trouvé un pays «dévasté» par tant de crises : politique, sécuritaire et socio-économique… Une tragédie malheureusement prévisible depuis longtemps, en raison de l’inaction, et l’incompétence criarde de la «Issaba» Bouteflikienne.

Pendant ce temps, le peuple Algérien est réduit à un simple cobaye. Celui qui subit sans brancher, traumatisé qu’il est par 10 années de souffrances de la décennie noire, de pleurs et de leurres. Oui, le peuple Algérien a été trahi. Et paye aujourd’hui encore.

Pouvaient-ils imaginer un seul instant, ces martyrs, l’Algérie d’aujourd’hui dans cette situation dramatique ?

A quoi aura servi notre indépendance alors que les acquis de la révolution ont été séquestrés par une minorité d’Algériens sans foi ni loi, sans conscience aucune ?

El Moudjahid N°72 du 1er Février 1960 publie l’appel de Ferhat Abbas, Président du GPRA, au peuple Algérien : « L’Algérie pour laquelle le peuple combat, c’est l’Algérie indépendante pleinement souveraine. Elle signifie une Algérie dont tous les habitants jouiront de la plénitude de leurs droits de citoyens sans distinction d’origines… »

Aujourd’hui, il aurait peut-être dit : «Heureux les martyrs qui n’ont rien vu».

Célébrons cette date du 1er Novembre dans le recueillement, mais aussi dans l’espoir de voir véritablement se concrétiser le changement dont ont rêvé nos martyrs et dont rêvent encore plus les jeunes d’aujourd’hui.

Abdelkader KRIBI

Militant de la cause nationale

Zone autonome d’Alger