3 décembre : journée internationale des personnes en situation de handicap

3 décembre : journée internationale des personnes en situation de handicap

Temps de lecture : 5 minutes

 

CONTRIBUTION : Par Docteur Lakhdar Amokrane*

 

 « Nous ne sommes pas des chasseurs de subventions, mais de projets!»

 

Depuis l’année 1992 la journée internationale des personnes en situation de handicap est célébrée chaque année le 3 décembre à travers le monde. Elle vise à promouvoir les droits et le bien-être des personnes en situation de handicap dans toutes les sphères de santé et du développement et à accroitre la sensibilisation sur leur situation particulière à tous les niveaux de la vie de tous les jours.

Cette année, l’OMS se joint à ses partenaires pour célébrer « une journée pour tous ». Ce thème reprend l’idée de plus en plus largement acceptée que le handicap fait partie de la condition humaine. Presque tous parmi nous souffriront d’un handicap temporaire ou permanent à un moment donné de notre vie. Malgré cela, peu de pays ont des dispositifs adéquats pour répondre pleinement aux besoins des personnes handicapées.  L’OMS estime que plus d’un milliard de personnes – environ 15% de la population mondiale – souffrent d’une forme ou d’une autre de handicap. Ce chiffre devrait augmenter compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des maladies non transmissibles.

Et qu’en est-il de leur situation en Algérie ?

Dans notre pays, les années se suivent et se ressemblent. Les promesses des grandes occasions ne sont jamais tenues. Les décrets, les circulaires ne sont là que pour garnir le journal officiel de la RADP. Les textes de loi ne s’appliquent qu’au gré des injonctions. Il en est ainsi pour tous les Algériens, et particulièrement pour une frange de la population, les handicapés, à la limite de l’exclusion sociale.

Livrés à eux –mêmes, les 6% d’Algériennes et Algériens n’ont pas de droits notifiés. C’est généralement, grâce au bon vouloir de certains ministres, walis ou maires que l’handicapé voit sa situation, un tant soit peu, s’améliorer. Cette situation de non droit laissée au jugement et à l’humeur de certains décideurs doit faire réagir, en plus des concernés, toutes les consciences citoyennes.

Aux premières années de l’indépendance, il y avait environ 8000 handicapés, toutes catégories confondues. La majorité était transférée en France pour des soins ou prise en charge. Il n’y avait pas de structures adéquates à proprement parler, à l’exception de Tixeraine, quelques kinés privés, et un ou deux services aux CHU Bab El Oued(ex Maillot)et Mustapha Bacha. L’expatriation des handicapés à l’étranger avait provoqué des déchirements familiaux pour beaucoup d’entre eux. Ils ont vécu une double exclusion : ce n’était pas leur pays, et ils étaient loin de leurs familles et amis.

Jusqu’en 1970, l’Algérie officielle ne reconnaissait pratiquement pas l’existence d’handicapés en dehors des victimes de la guerre de libération nationale, alors que les chiffres grossissaient : les aveugles au Sud à cause du Trachome, les mariages consanguins, la Poliomyélite, en plus des accidentés de la circulation.

Il a fallu attendre 1981 pour que le gouvernement Algérien commence à réfléchir au problème des handicapés. Un séminaire sur la question a été organisé et une commission s’est dégagée et a posé le problème de la prise en charge de l’handicapé. C’était l’époque où on commençait à voir des handicapés dans les rues.

L’urgence de cet état de fait a été la création d’un Secrétariat d’Etat aux affaires sociales, et à partir des années 1985/1986 on rapatriait les handicapés avec la ferme promesse qu’ils seront soigneusement pris en charge dans la Mère Patrie l’Algérie !

Désillusion totale, la majorité était livrée à elle-même. Certains n’ont pas été reconnus par leurs parents, d’autres, plus chanceux ont eu une place dans un hôpital, mais sans réelle prise en charge. On a créé des Mouroirs .

Et, ou en sommes-nous aujourd’hui le 03 Décembre 2020, à l’occasion de la célébration de cette journée internationale des personnes en situation d’handicap ? La majorité des concernés vous répondront qu’ils sont ,à peu de choses près, dans la même situation, et toujours confrontés aux mêmes difficultés !  Si, quand même, ils vous diront avec ironie, que ce qui a vraiment changé pour eux, c’est leur dénomination : on ne les appelle plus handicapés, mais des personnes à mobilité réduite ou des personnes en situation d’handicap !

De l’avis de leur écrasante majorité, il n’y a pas de politique de prise en charge de l’handicapé, mis à part la gratuité du fauteuil(tous les 5 ans),la canne, la prothèse auditive, le braille…alors que le nombres d’handicapés ne cesse d’augmenter( depuis la décennie rouge du terrorisme, jusqu’aux accidents de la circulation où notre pays est classé aux premières loges mondiales !).

Ils iront plus loin encore, en affirmant qu’il n’y a pas de politique du tout, encore moins une politique sociale en Algérie. Heureusement d’ailleurs qu’il existe encore quelques associations ,même de manière embryonnaire, qui luttent à mettre en place des outils pour une meilleure prise en charge des problèmes sociaux des handicapés en collaboration avec les différentes tutelles dont dépendent les concernés.

Il fut un temps, où un Conseil National pour personnes handicapées a été créé en 1983/84, et regroupant les représentants de tous les ministères concernés et les associations. Mais, il ne s’est jamais réuni, encore moins activé ! Pourquoi ? Motus et bouche cousue !

Alors, qu’attendent réellement les handicapés de la part de société toute entière( citoyens et pouvoir) ? Tout simplement, que le minimum de lois existantes pour la protection et la promotion sociale des handicapés soit appliqué rigoureusement. Et les exemples foisonnent !

La loi consacrant le droit au travail dans le respect de la loi 90/11 du 02/05/1998 dans son article 04 et 05 ;

La mesure discriminatoire appliquée par les pouvoirs publics concernant l’exonération d’IRG, et ce pour créer des classes dans une frange de population jusque là égale dans les droits et dans les obligations( loi 90/03 du 03/01/90) ;

L’application du même décret sus cité permettant aux handicapés de prétendre à une formation professionnelle spécifique à leur état ;

Le droit aux congés spéciaux pour effectuer des soins pour une meilleure réadaptation professionnelle( article 10 du décret sus cité)………..

D’autres revendications sont toujours portées par les associations des handicapés, comme la verbalisation par la police urbaine des contrevenants à propos des espaces réservés à cette catégorie, le recrutement de 5% d’handicapés parmi le personnel de l’administration, l’obligation légale de la facilitation de l’accessibilité aux institutions publiques pour les personnes à mobilité réduite, la protection des produits manufacturés par les aveugles……..

Les associations d’handicapés nous rappellent chaque jour, à travers les messages portés par leurs revendications, qu’ils ne sont pas des chasseurs de subventions, mais de projets ! Ce qui est tout à leur honneur !

En ce jour du 03 Décembre 2020, les voix des handicapés s’élèvent pour crier haut et fort, et rappeler aux décideurs qu’ils existent toute l’année, et qu’ils subissent la vie quotidienne dépourvus de moyens vitaux pour tout handicapé confondu.

Ils rappellent aux gouvernants, qu’ils connaissent leurs droits, et qu’ils sont empêchés de les faire valoir, contrairement à ce qui est affirmé par les autorités.

Ils se soulèveront tôt ou tard pour que leur statut  soit reconnu globalement et dans le détail et ne fasse pas l’objet de deux poids, deux mesures , pour qu’ils soient traités au même pied d’égalité que les handicapés fils de Moudjahid et fils de Chahid( loi 97 relative au Moudjahid et Chahid) , ou que les apparatchiks de la république ,dont ils se demandent sur le coût de leur prise en charge par l’argent du contribuable !

Bonnes questions , s’il en est sur la dilapidation des deniers publics au profit de la nomenklatura  en place et ses satellites bénéficiaires !

Pour les handicapés Algériens, il est venu le moment de faire l’histoire, et non plus la subir, au risque de sombrer dans l’oubli.

Et si pour une fois, la première fois,  et en pleine crise sanitaire de covid-19,le gouvernement Algérien décidait que cette journée doit servir de levier pour développer la société inclusive, facteur d’émancipation individuelle et de progrès social !C’est tout le mal qu’on souhaite !

*Dr Lakhdar Amokrane
Premier Secretaire de Jil Jadid
Membre du Conseil Politique