Soufiane Djilali « Je pense que le climat est à l’apaisement. Par contre, il s’accompagne d’un immobilisme »

Soufiane Djilali « Je pense que le climat est à l’apaisement. Par contre, il s’accompagne d’un immobilisme »

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Dans cet entretien Président de Jil Jadid, Soufiane Djilali pour le média en ligne Win+, évoque plusieurs volets allant de la politique intérieures à la nécessité de réformer, la richesse de notre communauté à l’étranger, la visite d’Emmanuel Macron en Algérie et enfin la géopolitique.

WIN + : Vous venez d’être réélu à la tête de Jil Jadid. Etes-vous satisfait du climat politique dans notre pays ?

Soufiane Djilali : Tout d’abord, mes félicitations pour la naissance de ce site. J’espère qu’il pourra contribuer au débat national tel qu’il le souhaite ses fondateurs. Alors bon succès !

Pour revenir au climat politique dans notre pays, il est difficile de donner une réponse claire dans l’immédiat. Le pays revient de loin. Vous le savez, notre analyse depuis la création de Jil Jadid en 2011 est que la politique qui était menée durant les deux derniers mandats de l’ex Président était dangereuse pour l’Algérie. Nous l’avions alors dénoncé maintes fois. Nous disions alors que le pays se dirigeait vers le désordre et l’effondrement du régime. Notre peur, exprimée à chaque occasion, était que l’Etat risquait d’être totalement déstabilisé. Nous proposions alors avec insistance « d’aider le pouvoir à s’en aller ! ».

Cela n’a pas raté. Le 22 février 2019 fut le moment du basculement.

L’élection présidentielle du 12/12 était celle de tous les dangers. Le Hirak, vital au pays au début, se transformait peu à peu en danger pour l’Etat. Sous l’effet des manipulations anti algériennes, « la sagesse du peuple laissait place à la folie des foules » !

Une fois l’élection assurée, il fallait éteindre les conflits internes, re-stabiliser l’Etat avec ses institutions, initier le changement, refaire les institutions à commencer par la loi suprême, replacer l’Algérie sur l’échiquier mondial et relancer la machine administrative puis économique. Sans parler bien sûr de la période du Covid-19 qui a mis à terre l’économie mondiale !

Je fais ce rappel pour dire que la période passée était difficile et complexe. La dimension sécuritaire a alors pris le dessus.
Maintenant, je m’attends à ce qu’il y ait un début d’ouverture politique et médiatique. Car entre temps, la vie nationale, en dehors des campagnes électorales des législatives en juin 2021 et locales en novembre 2021, la scène politique s’est affaissée.

Cela ne peut pas perdurer. Il faut réanimer la vie politique, renouveler les débats et renouer le dialogue avec la société.

En un mot : la situation politique actuelle n’est pas satisfaisante bien qu’il y ait des raisons objectives à cela mais il est grand temps de mettre un nouveau souffle, sans plus tarder, pour remobiliser la société.

WIN + : Le champ politique est-il serein pour engager une bataille économique ?

SD : Je pense que le climat est à l’apaisement. Par contre, il s’accompagne d’un immobilisme qui lui, pose problème. Pour engager victorieusement la bataille économique, il faut que les Algériens se sentent concernés, qu’ils soient associés au plan de bataille, convaincus par la vision etc…

En un mot, il faut que les Algériens croient en leur avenir et aient envie d’engager cette bataille. Celle-ci ne peut pas être celle d’un gouvernement quelle que soit sa valeur. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire l’unanimité sur le projet, mais celui-ci doit avoir un soutien populaire significatif. Dans le cas contraire, nous subirons une forme de sabotage par la passivité. Nos autorités politiques devraient prendre cet aspect avec sérieux et même gravité.

WIN + : Le problème est-il économique ou financier ?

SD : Il est d’abord politique. Un bon programme, managé par un bon gouvernement qui sache parler au peuple, un engagement sérieux d’acteurs politiques compétents et une politique pragmatique permettront de réunir les moyens économiques et financiers.

L’Algérie a un immense marché, la demande interne est forte et la production encore très faible. Il faut orienter les avantages vers tout ce qui est production et particulièrement dans les secteurs vitaux, telle l’agriculture.

La conjoncture mondiale est en notre faveur. Les hydrocarbures sont valorisées et notre position géographique exceptionnelle. Beaucoup d’industries européennes énergivores pourraient être intéressées pour venir s’installer en Algérie. En plus du faible coût énergétique, elles bénéficieraient de la proximité continentale. La Chine et la Russie ont bien compris les atouts de l’Algérie et veulent en faire une porte d’entrée pour tout le contient africain, au-delà de son propre marché. L’Europe, elle, hésite et semble ne pas toujours saisir les meilleures opportunités. A nous de faire valoir nos cartes !

WIN + : Que proposez-vous au gouvernement pour aller de l’avant ?

SD : En toute humilité, je pense que l’actuel gouvernement, à part quelques ministres de valeur, devrait être largement renouvelé. Il faut un gouvernement politique. La technocratie, c’est bon, mais elle a ses limites.

Le plus grave problème de ce gouvernement est son incapacité à communiquer. Le Chef de l’Etat se retrouve seul face aux problèmes et doit tout assumer. Cela finira par être handicapant pour son action.

WIN + : Accepteriez-vous de rentrer au gouvernement pour prendre vos responsabilités et mettre la main à la pâte ? Y a-t-il un sens à l’opposition dans notre pays ?

SD : Y a-t-il un sens à l’opposition ? Cela dépend de la définition que l’on donne à cette dernière. Si l’opposition signifie le nihilisme, la réponse est clairement négative. L’opposition devrait être en mesure de garder son autonomie pour dénoncer des faits qui pourraient relever de l’incompétence, de la mauvaise gestion ou même de la corruption. Elle est également tenue de faire des propositions et de pouvoir les assumer en cas de besoin.

Faire de l’ »oppositionnisme » pour apparaitre au public comme Zorro et bomber le torse relève d’une discipline plus proche de la psychologie que de la politique.

Bien entendu, lorsque les conditions sont réunies, il faut contribuer à mettre en œuvre ses idées.

Les membres d’un gouvernement doivent être en harmonie par rapport à leurs propres convictions. Aujourd’hui, l’Algérie a besoin de reconstruire ses fondamentaux. C’est au Président de la République de concevoir la meilleure équipe gouvernementale possible.

WIN + : Personne ne doute de la bonne volonté du Président Tebboune à construire une véritable économie mais ça tarde à venir, comme l’automobile, le transport aérien et maritime, qu’en dites-vous ?

SD : Au commencement, il y a la volonté, puis la vision et enfin la pratique. Sincèrement, je pense que la première condition est là, sans aucun doute, la seconde est également en cours de clarification. Il reste la troisième étape qui est aussi la plus compliquée et la plus difficile à mettre en œuvre. Elle a besoin d’énormément de ressources humaines de grande compétence. C’est le défi qui doit être maintenant relevé. Il est de la responsabilité du Président de la République.

WIN + : La diaspora DZ ! Ne pensez-vous pas que laisser plus de 7 millions d’Algériens installés à l’étranger sans ministère soit un gâchis ou un mépris ? Que dites-vous à cette communauté ?

SD : Il est notoire que la qualité des ressources humaines fait la différence entre les pays. L’Algérie possède l’une des plus grandes communautés à l’étranger qui est formée et compétente. Je comprends parfaitement ses motivations profondes. J’ai vécu plusieurs années à l’étranger et je connais bien ce sentiment. Je rappelle que dans les années 70, Houari Boumediene justifiait les départs massifs des Algériens vers l’Europe et surtout vers la France en disant que c’est un passage obligé pour nos compatriotes pour apprendre la technologie, pour se former et finir par revenir au pays avec leur savoir faire. Malheureusement, au lieu d’aller jusqu’au bout de cette logique comme l’ont fait la Chine, le Japon ou l’Inde, l’Algérie a fini par entrer dans un cycle de dégradation qui ne s’est arrêté qu’en 2019.

Les quelques informations que j’ai me laisse supposer que les autorités publiques commencent à prendre en charge cet aspect et que de très nombreux contacts se font actuellement avec des membres de la diaspora en vue d’une collaboration, voire d’une réinsertion qui pourrait être planifiée.

Un mouvement de retour vers le pays pourrait aussi être provoqué par de grandes difficultés que va rencontrer notre communauté à vivre dans une Europe qui rentre dans un cycle de grave crise multidimensionnelle. Il n’y a qu’à écouter le Président français Emmanuel Macron pour s’en convaincre. Il vient juste de déclarer que la période de l’abondance et de l’insouciance est finie et que ses concitoyens devaient se préparer à des temps durs !

WIN + : Que pensez-vous de cette visite importante du Président français en Algérie ? Que voulez-vous lui dire ?

SD : La relation algéro- française a toujours été complexe. Aujourd’hui, des facteurs géopolitiques, énergétiques et financiers font que la France voit en l’Algérie un canal d’ouverture pour l’avenir.

Les deux pays ont chacun des intérêts colossaux dans cette relation. Cependant, il y a aussi des différences qui s’aggravent. La France est l’un des piliers de l’Union Européenne, elle-même très engagée dans la logique d’un Occident perçu de plus en plus comme ayant une volonté d’hégémonie, voire de prédation. Tant qu’il y a cet engagement pour un mondialisme forcené, qui veut imposer une postmodernité à laquelle sont allergiques les peuples non occidentaux, il y aura des limites drastiques à une évolution sereine des relations.

Les évènements qui se déroulent en Ukraine, sont en même temps un révélateur d’une idéologie en action et une occasion pour repenser l’avenir du monde.

C’est à l’aune de ces évolutions que la relation entre l’Algérie et la France trouvera son équilibre.

WIN + : Voulez-vous rajouter quelque chose ?

SD : J’ose croire qu’un monde multipolaire favorisera alors l’apaisement des tensions, le respect mutuel entre les peuples et une véritable coopération entre les civilisations.

Dans le cas contraire, les tensions ne pourront que s’aggraver et s’accompagneront de désordres peut-être même de chaos, sinon de violence généralisée.

Cependant, pour ma part, je reste optimiste. Je pense que le monde va vivre une ou deux décennies de remises en causes avant de se stabiliser de nouveau dans une phase de renouveau.

 

Winplus.dz le 25/8/2022
Lien vers interview : https://winplus.dz/actualités/Soufiane_Djilali_Jil_Jadid