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Regard sur la scène politique : constat et perspectives (Entretien avec Zoheir Rouis)

Temps de lecture : 6 minutes

 

Zoheir Rouis , Vice président de Jil Jadid et président de Jil Jadid monde

Entretien réalisé par Ramzy. A

 

Rédaction Jil Jadid : comment voyez-vous la scène politique après le renouvellement des institutions et après le parachèvement du processus constitutionnel ?

Zoheir Rouis : J’ai un regard mitigé sur l’évolution de la scène politique depuis le renouvellement des institutions constitutionnelles.

Dans le contexte qui était le nôtre, avec la chute du régime précédent et l’incarcération de ses principales figures, l’entêtement du pouvoir de fait qui a géré l’intervalle constitutionnelle à ne rien céder à la rue, les manipulations et l’instrumentalisation de certains acteurs, l’incapacité de la classe politique à parler d’une seule voix, le tout dans un environnement régional des plus hostiles, il était évident que tout cela avait engagé doucement mais sûrement le pays vers le chemin de la déstabilisation, celle-là même qui était à l’œuvre en Libye et en Syrie par exemple.

Dans ce contexte, il était extrêmement important de donner rapidement au pays des institutions qui consolident prioritairement l’Etat et lui donnent pleinement la légalité nécessaire. Mais cet impératif de légalité a malheureusement quelque peu négligé le besoin de légitimité qui lui est en principe inhérent dans un système démocratique, et qui aurait pu lui donner une plus grande adhésion populaire, à l’appui d’une communication forte sur le sens et les enjeux de l’heure et d’une mise à disposition et la mobilisation de l’ensemble des moyens nécessaires à l’expression de la pluralité. Au lieu de cela, on a laissé place aux sceptiques, aux suspicieux et aux nihilistes de tous bords qui ont eu tout le loisir d’éloigner les électeurs de la chose publique et de toute opportunité de changement.

Nous en sommes là aujourd’hui !

L’Etat est rétabli et consolidé mais les institutions élues souffrent de légitimité amoindrie.

Sommes-nous réellement sur la voie d’une démocratie, où les partis politiques sont de vrais protagonistes de l’activité politique ?

Constitutionnellement parlant oui !

Mais dans la pratique, nous en sommes encore loin.

Prenez par exemple la composition de l’actuelle APN, élue en 2021. Elle est majoritairement peuplée d’individus dits indépendants, des sans partis, accompagnés des derniers vestiges des partis qui ont servi l’ancien régime. L’impératif de légalité évoqué précédemment n’a, à l’évidence, pas imprimé au dernier scrutin législatif un caractère de transparence et d’équité suffisants pour mobiliser les partis et les électeurs, ce qui a laissé place aux anciens partis du pouvoir et aux sans partis. De fait, cette assemblée n’est pas incarnée par des partis de la majorité comme de l’opposition.  Et quand une assemblée n’est pas incarnée par des partis, le débat en son sein et le travail parlementaire peuvent s’en trouver appauvris et désincarnés, ce qui pourrait avoir pour effet un déséquilibre en faveur de l’Exécutif qui n’a plus en face de lui une opposition partisane capable de challenger ses décisions, de porter des propositions alternatives et de contrôler de manière efficace son action. Par ailleurs, ce type de situation favorise le désintérêt des citoyens en l’absence d’enjeu politiques dans l’assemblée, sans parler du fait qu’il n’est pas possible dans ce cas de favoriser l’émergence de vrais protagonistes de l’activité politique comme vous le soulignez.

En effet, on ne peut pas former et renouveler les élites politiques d’un pays en dehors de tout processus naturel de formation politique qu’offrent les partis, ou à tout le moins, les plus sérieux et déterminés d’entre eux.

C’est la raison pour laquelle, la loi organique sur les partis politiques fait peser, à juste titre, sur les partis l’obligation de former leurs militants pour favoriser l’émergence de nouvelles figures afin de garantir l’alternance au pouvoir qui est un principe fondamental de la démocratie.

Par ailleurs, pour jouer pleinement leur rôle, les partis sont censés proposer et défendre un projet qui soit l’expression d’une alternative et qui soit en quelque sorte le fil rouge de leurs actions et positions à l’intérieur des institutions.

Mais si ces institutions sont majoritairement composées de sans partis, comment voulez-vous former les élites de demain porteuses de projets alternatifs et faisant vivre la démocratie ?

Pour aller au bout de la logique qui a présidé au renouvellement des institutions, le pouvoir a la responsabilité d’ouvrir davantage les espaces pour les partis et ces derniers sont en devoir de se mettre au travail pour se structurer, se doter de projet de société, former leurs militants, organiser le libre débat en interne et affronter les suffrages. Plus les partis se renforceront de l’intérieur et plus ils deviendront incontournables pour incarner la démocratie, le pluralisme et l’alternance au pouvoir.

Que pensez-vous de l’action des deux chambres parlementaires, en matière de contrôle du travail de l’exécutif ?                                                                            

Compte tenu des éléments évoqués sur la composition de l’APN par exemple, il est clair que le rôle des députés dans le contrôle du travail du gouvernement reste limité et sans réel effet sur les décisions prises. L’absence d’opposition parlementaire fortement incarnée par des partis diminue la capacité de cette Chambre du parlement à mener l’action de contrôle du travail gouvernemental.

Par ailleurs, le fait que la majorité des députés ait été élue sur la base de projets individuels ne permet pas à ses membres de porter des projets de lois ou de peser fortement sur les propositions de lois du gouvernement pour les amender. Il y manque l’effet de groupe politique homogène porteur d’un projet alternatif.

Ce sont ces mécanismes qui permettent l’exercice de l’action parlementaire, apportent de la valeur aux textes de lois et permettent de contrôler de manière efficace le travail de l’exécutif et de répondre à la demande populaire qu’ils représentent.

Quel constat faites-vous de l’évolution de la situation socio-économique durant ces deux dernières  années ? 

Si on s’en tient qu’aux deux dernières années, il faut dire que le pays aura traversé bien des tempêtes, notamment avec la pandémie planétaire et les conséquences du désordre international entretenu.

Mais ce qui pose question c’est cette forme d’immobilisme du gouvernement et plus grave encore l’absence d’expression d’une vision et d’une ambition économique fortes pour le pays, sans parler des conséquences néfastes de la persistance des pratiques bureaucratiques.

Autant vous dire, que nous avons du mal à bien entrevoir le cap.

Naturellement, le désordre international actuel apporte avec lui, de manière purement conjoncturelle, des retombées positives en termes de ressources issues des hydrocarbures. Ce qui donne un peu de répit et permet au gouvernement d’assurer la redistribution et de différer à plus tard les grandes réformes. Or, tôt ou tard ces réformes s’imposeront à nous mais à quel prix ?

Pourtant nous ne manquons pas de précédents en matière de gestion de la rente sans stratégie de développement avec ce que cela a eu comme conséquences en termes de fragilisation de nos équilibres et de notre modèle social, mais nous persistons toujours dans ce confort dès lors que les prix des hydrocarbures permettent de distribuer sans compter au lieu d’engager les réformes nécessaires.

Le pays a besoin d’une stratégie de développement sur le long terme qui engage le pays à l’horizon de 2050 et les ressources dégagées par les hydrocarbures doivent être utilisées comme un levier pour cette stratégie. Ce n’est pas ce que nous constatons pour l’heure.

Comment voyez-vous l’évolution de Jil Jadid dans cette configuration politique ?

Jil Jadid est un jeune parti qui malgré les conditions d’exercice de la politique depuis sa création tente vaille que vaille de poursuivre son chemin en se plaçant depuis le début sur une trajectoire de long terme pour construire un vrai parti politique, un parti moderne dans son fonctionnement, patriote dans son essence et porteur d’un projet de société. Un parti qui a fait le choix de former ses militants afin qu’ils puissent incarner cette élite politique évoquée et qui dès le départ s’est inscrit dans une démarche de proximité avec les citoyens afin de se donner les structures nécessaires à son enracinement local.

Nous poursuivons ce travail entamé il y a peu finalement au regard de l’échelle de temps qui nous sépare de la création des 1ers partis politiques avec le multipartisme instauré en 1989.

Ce n’est pas chose aisée lorsque dès la création en 2011 vous faites face à un régime qui n’a qu’une seule envie c’est de tuer dans l’œuf toute voix discordante qu’il n’a pas réussi à briser ou à soudoyer avec les quotas et les passes droits. Ce n’est pas aisé non plus lorsque les citoyens ont toutes les raisons de se méfier des politiques au regard des pratiques de certains qui ont muselé leurs partis pour se maintenir à leurs têtes en dehors de toute règle et expression libre. Enfin, ce n’est pas simple non plus avec la défiance installée depuis des décennies vis-à-vis des élections compte tenu des mascarades électorales enchainées.

C’est avec tout cela à la fois que nous devons agir et interagir et garder le cap qui nous permettra de démontrer et notre détermination et notre volonté de rénover l’exercice de la politique pour redonner confiance dans les politiques.

Quelles sont les opportunités qui s’offrent à la diaspora, pour jouer un rôle essentiel dans le redressement de la situation du pays ?

La diaspora algérienne a de tout temps et en toute circonstance, démontré sa volonté de contribuer au développement du pays et à l’épanouissement des algériens.

Il y a là un gisement de patriotes, de talents et de compétences qui doit être l’une des priorités du pays, l’enjeu étant d’impliquer tous nos compatriotes à l’œuvre d’édification nationale.

Par son dynamisme, ses potentialités créatives et inventives et son ancrage dans la modernité, la diaspora algérienne peut susciter une émulation libératrice et stimulatrice pour notre jeunesse.

Notre pays a besoin du savoir-faire de notre communauté et peut tirer profit du capital «expérience», forgé dans un système économique ouvert. L’Algérie doit gagner tout ce potentiel humain, intellectuel et économique en créant les conditions nécessaires aux plans juridique, institutionnel, économique et socioculturel, destinées à tirer parti de l’expérience des membres de notre diaspora.

En ce qui nous concerne à Jil Jadid, nous nous y employons à travers Jil Jadid Monde tant la volonté de s’engager et de contribuer à la réussite de l’Algérie est une constance de notre diaspora.

Rédaction Jil Jadid
Octobre 2022

 

Nassim BENDALI

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