Éditorial : Société civile ou société servile ?

Éditorial : Société civile ou société servile ?

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Promouvoir les valeurs de la citoyenneté est un objectif que doivent se donner les pouvoirs publics, les organisations de la société civile et les partis politiques, a fortiori lorsqu’il s’agit de bâtir un Etat de droit, comme nous essayons de le faire depuis plus de trente ans.

Cette œuvre d’utilité publique ne peut être l’apanage du seul politique ou de la seule société civile, et encore moins l’exclusivité d’une société civile (sur)mobilisée par un pouvoir politique intéressé.

Société civile comme société politique ne sont pas en concurrence mais en complémentarité pour renforcer les valeurs de la citoyenneté. Chacune d’entre elles a un rôle déterminé et l’une ne peut remplacer l’autre sans porter atteinte au pluralisme politique et à l’ambition démocratique affirmée. Sauf si on cherche au fond à éloigner les citoyens de la politique et à contourner la volonté populaire et les espaces démocratiques élus.

Car dès lors que l’on tente, par des procédés plus ou moins grossiers, plus ou moins insidieux, d’opposer la société civile au monde politique, on cherche en réalité à réduire à sa plus simple expression le rôle des partis politiques, sous couvert de promotion de femmes et d’hommes neufs, des gens propres sur eux, présupposés intègres et compétents.

Il n’échappe à personne que lorsque l’on fait la promotion de personnes « issues de la société civile » pour assumer des responsabilités politiques, on entend par là qu’elles n’ont pas antérieurement exercé de responsabilités politiques, et qu’elles n’étaient pas non plus membres d’un parti politique déterminé, que ce ne sont pas, ou ce n’étaient pas jusqu’alors des professionnels de la politique.

Sans rentrer dans le débat de la réalité de la virginité politique des concernés, l’enjeu est clairement ailleurs : le fait que des responsables politiques éprouvent le besoin d’appeler à leurs côtés des personnes qu’ils présentent ostensiblement comme étrangers à leur milieu est le symptôme d’un malaise de la représentation, l’aveu que l’on tente de passer outre une représentation politique par le biais de mécanismes institutionnels qui reposent tous en dernière instance sur le vote populaire.

Quelles que soient les qualités et les compétences des personnes en question, c’est là une solution fictive au manque de représentativité que ce recours aggrave plutôt qu’il ne la corrige.

En proposant une image idéalisée d’une société civile propre et experte pour assumer des fonctions politiques, on surfe sur la vague (bien entretenue) de critiques qui s’abat sur la classe politique, présentée comme étant « forcément » corrompue et incompétente.

Se faisant, on passe sous silence les nombreux obstacles infligés aux partis et au multipartisme durant des décennies, la corruption des esprits et la distribution des quotas pour mieux asservir des partis intéressés par les positions plutôt que par la mise en œuvre d’un projet de société, la formation de leurs militants pour en faire l’élite politique de demain et la construction de partis solides, au fonctionnement démocratique. Le tout pour jeter l’opprobre sur toute la classe politique.

C’est là un jeu dangereux qui flirte avec une forme de populisme et qui in fine ne construit pas la démocratie et finira par faire le lit des nihilistes et des extrêmes.

Par ailleurs, on devrait se garder de faire de la société civile un fourre-tout qui la viderait peu à peu de son sens.

Alors, au lieu, de sur investir la société civile pour lui octroyer un rôle qui n’est pas nécessairement le sien, on devrait ouvrir les canaux d’expression aux partis, renforcer leur rôle et leur donner les moyens de se construire, de proposer des projets et des programmes alternatifs et de former leurs militants pour incarner avec sérieux la classe politique de demain.

 

Zoheir Rouis VP Jil Jadid

Zoheir Rouis

Vice-président de Jil Jadid

Président de Jil Jadid Monde