Entretien de Monsieur Soufiane Djilali, Président de Jil Jadid, au quotidien Le Soir d’Algérie.

Entretien de Monsieur Soufiane Djilali, Président de Jil Jadid, au quotidien Le Soir d’Algérie.

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Entretien de Monsieur Soufiane Djilali, Président de Jil Jadid, au quotidien Le Soir d’Algérie.

1-Vous venez de célébrer le 12e anniversaire de la création de votre parti que vous avez créé dans une conjoncture bien particulière de l’époque marquée notamment par les vagues du printemps arabe …

Soufiane Djilali. Oui, absolument. La vague de contestation des régimes autocratiques s’était déclenchée en Tunisie dès décembre 2010. Les répliques n’allaient pas tarder à se faire sentir chez nous. Pour l’histoire, avec les premiers compagnons, feu Smaïl Saïdani (Rabbi Yerhamou) et Zoheir Rouis, nous avions décidé de nous préparer à fonder un parti politique. Nous avions senti que le régime de Bouteflika ne pouvait plus perdurer sans lâcher du lest. Nous avions alors loué un petit local à Zéralda et commencé à prendre contact avec nos amis politiques pour les mobiliser. Le défunt ministre de l’intérieur, Daho Ould Kablia, avait nié au début toute possibilité d’ouverture aux nouveaux partis mais avait dit, que « le pouvoir n’arrivait plus à comprendre la jeunesse ! ». Le 11 mars 2011, nous nous sommes réunis dans une ferme agricole à Koléa. Nous étions une vingtaine de militants. Nous avions alors posé les premiers jalons pour notre action. Le 13 avril 2011, nous avions rendu publique la déclaration de principe de Jil Jadid. Le Soir d’Algérie était parmi le peu de journaux qui avaient accepté de venir couvrir l’évènement. Deux jours après, le Président de la République faisait son discours pour annoncer sa volonté d’ouvrir le champ politique ! Dès lors, il nous fallait organiser nos assises. Le 03 Mars 2012 nous avions organisé notre congrès constitutif… le reste de notre action est connu, du moins par celles et ceux qui s’intéressent à la vie politique.

2- Quel bilan pouvez-vous en faire ?

Vous savez, un parti politique a une durée de vie comparable à l’humain. A 12 ans c’est encore l’adolescence… Mais bon, sincèrement, je pense que Jil Jadid a contribué pleinement ces dernières années dans la vie publique. Rappelez-vous le rôle actif que nous avions tenu au sein de la CLTD, puis de l’ICSO, le boycott des élections législatives et locales en 2017, Mouwatana, le Hirak etc… Sinon, il y a eu des hauts et des bas, des réussites et des échecs. L’essentiel pour Jil Jadid est qu’il ait formulé durant ce laps de temps, un véritable projet de société, qu’il possède un sérieux programme gouvernemental et qu’il ait formé beaucoup de jeunes cadres politiques qui pourront à l’avenir honorer le pays. Pour le reste, il n’a échappé à personne que l’action politique en Algérie est particulièrement complexe. La réussite peut se transformer en désastre et l’échec peut devenir une victoire. Ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est que les fondateurs de Jil Jadid, sont et seront toujours fiers d’avoir tenté cette aventure et consacré leur vie entière pour contribuer à faire avancer l’Algérie, quel que soit le destin que nous réserve l’avenir.

3- Et puis vint le Hirak….

Nous l’avions appelé de tous nos vœux. Nous y avons également donné beaucoup de notre engagement. Je ne veux pas tirer la couverture vers Jil Jadid mais je pense qu’il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaitre les efforts et la détermination qui ont été les nôtres pour en finir avec le régime précédent. Le 22 février 2019 a été un jour de bonheur complet, lorsque les Algériens avaient décidé de sortir dans les rues de toutes les villes avec une volonté inouïe, pour remettre les pendules à l’heure. Ensuite, comme toutes les révolutions, vous le savez, elles deviennent l’enjeu d’intérêts politiciens ou pire, personnels. L’opposition s’est alors brisée sur les récifs des égos. Le 22 février, la plupart des futurs pseudos zaïms n’étaient même pas là. Pourtant, dès  le 26 février, la course au leadership était déclenchée. Ce jour là, nous avions invité le maximum possible de personnalités politiques d’opposition à une réunion au siège du parti. Nous leur avions proposé de travailler tous ensemble. Le refus avait été direct. Chacun pour soi avait été la réponse. Chacun se voyait le futur leader incontesté… d’où venait  cette prétention ? Je me suis toujours demandé s’il n’y avait pas déjà des promesses dans les coulisses …

A la fin de l’histoire, les mêmes erreurs stratégiques ont été répétées. Dès que le régime s’affaiblit, il tente une ouverture. C’est alors que l’opposition s’enflamme et exige le tout ou rien. Conforté par cette inaptitude de l’opposition à comprendre les enjeux, les décideurs referment les robinets. Rappelez-vous 1991. Il était exigé de l’armée qu’elle remette les armes et qu’elle accepte d’être jugée et condamnée sur la place publique. Un certain leader avait promis que les Algériens allaient « manger » les blindés ! En 2019, nous avions vu des agités exiger d’écrire la nouvelle constitution à la grande poste après avoir jeté « les généraux à la poubelle » ! Résultat des courses : chacun est rentré chez lui en se faisant maintenant tout petit. Quant à ceux qui jacassaient de l’étranger, il est devenu évident pour tous les Algériens que nombre d’entre eux ne sont que de vulgaires mercenaires.

4- Si nous revenons un peu à la situation actuelle du pays, sur les plans, politique, économique, social.

Vous le savez, ce sont des secteurs imbriqués. Le politique doit donner la vision et l’impulsion nécessaire pour que l’économique puisse créer de la richesse qui, au final, doit être équitablement redistribuée. Trop de liberté économique peut entrainer des injustices sociales, trop d’égalitarisme (et donc forcément de dirigisme) finit par paralyser l’économie… Tout est dans l’équilibre subtil.

L’Algérie avait mis, dès le début, le curseur du côté de la justice sociale et du contrôle de l’activité économique. Après 60 ans d’indépendance, notre économie est restée improductive, sclérosée et de plus en plus déviante vers la prédation. Nous avons besoin d’une véritable ouverture économique et c’est à l’Etat de mettre un véritable cadre législatif transparent pour empêcher la constitution de monopoles privatifs au moyen d’une bureaucratie corrompue.

Aujourd’hui, il y a certes des efforts pour rétablir les grands équilibres financiers et relancer quelque peu la production. Malheureusement, mon sentiment est que la vision n’est pas claire au niveau du gouvernement. Il y a des velléités timides mais sans suite. Le pays est au milieu du gué mais ne sait toujours pas quelle rive choisir. Je vais vous dire franchement mon sentiment : les ressources humaines ne sont pas exploitées. Le problème de l’allégeance est récurrent. Les dirigeants ne font confiance qu’aux cercles les plus proches. Or, un Etat a besoin de beaucoup de compétences, à tous les niveaux. C’est là que le bat blesse. Trop souvent, les hommes de confiance sont chargés de responsabilités auxquelles ils ne sont pas préparés. Nous arrivons naturellement à l’application du principe de Peter, c’est-à-dire qu’on finit par confier aux personnes de confiance des missions qui vont au-delà de leur compétence.

Pour résumer ma réponse, le politique doit avoir une vision cohérente et claire des actions à engager, soutenir ses choix par un discours pédagogique et déterminé et enfin  instaurer un système de gouvernance tant administratif qu’économique qui soit orienté vers l’efficacité et la qualité.

5- Le Chef de l’État a avoué des résistances à sa feuille de route. Qu’en dites-vous ?

Les résistances proviennent à l’évidence des personnes qui ont en charge l’exécution des politiques. Le système Bouteflika avait infiltré profondément tous les rouages. Il n’y a pas de doutes que ceux qui profitaient du système n’ont pas envie que les choses changent. Chacun s’accroche à sa zone de confort. Parfois, les gens sont de bonne foi mais l’ensemble des processus du changement ne sont pas fonctionnels. C’est pour cela que j’insiste sur la nécessité de réformes importantes. Tant que les hauts cadres de l’administration ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs responsabilités, le recrutement restera de faible  qualité. Il y a à la fois trop de fonctionnaires, ce qui alourdit les budgets de fonctionnement mais en même temps nous avons une administration au mieux stérile, au pire elle est un facteur de blocage.

6- Il y a un point  sur lequel il y a un consensus, le retour de notre pays sur la scène internationale…

Incontestablement, il y a eu un retour en force sur la scène internationale. Il est vrai que la doctrine diplomatique du pays avait pris son cap dès la guerre de libération. L’action à l’international avait été remarquable durant la période Boumediene et même de Chadli Bendjedid. Elle provient de notre ADN. Ce qui est paradoxal, c’est que celui qui avait été longtemps en charge de notre diplomatie durant la première période a été à l’origine de son extinction durant les vingt dernières années. Cela, évidemment confirme bien que, en son temps, c’était le Président Boumediene qui décidait de la stratégie et non pas son controversé ministre des AE réputé déjà pour son dilettantisme.

7- Avez-vous déjà été approché pour faire partie du gouvernement. Si c’est non, quelle serait votre réponse à une éventuelle sollicitation dans ce sens ?

Participer à un gouvernement pour un parti politique est tout à fait légitime. Cependant, il faut toujours inscrire ce choix dans le cadre d’une politique générale à laquelle chaque allié est tenu. Être dans un gouvernement peut être un honneur, incontestablement. Il faut juste qu’il y ait les conditions politiques pour une participation utile. Et ça, c’est plus compliqué ! Voilà le cadre général de notre réflexion. Sinon, pour être plus clair, je n’ai eu aucune proposition ces derniers temps. Et si cela devait être le cas, je réserverai ma réponse étayée au Président de la République.

8- L’APN vient d’adopter le projet de loi relatif à l’exercice syndical, un texte rejeté par la presque totalité des syndicats, y compris l’UGTA qui y voient une mise à mort de l’action syndicale dans le pays.

J’ai déjà fait part de mes réserves quant à la gestion des libertés. J’ai eu sous les yeux l’avant projet d’amendement de la loi organique sur les partis politiques et ma conclusion est que s’il devait passer sans remise en cause, il signera la fin d’un réel multipartisme. En ce qui concerne les syndicats, il est vrai qu’il y a parfois pléthore dans certains secteurs, mais comme toujours, le traitement de ce problème ne doit pas légitimer la fermeture au pluralisme. J’ai bien peur que l’Algérie ne tire pas les bonnes leçons de ses expériences passées et qu’à chaque fois nous reprenons les mêmes méthodes qui ont déjà échouées pour essayer de corriger les distorsions qu’elles ont-elles-mêmes provoquées. Il y a comme une répétition obsessionnelle des mêmes choix perdants. Cela me rappelle le célèbre « mythe de Sisyphe ».سفيان جيلالي عربي21

Avant tout, il faut gagner l’adhésion populaire à un programme ambitieux et en même temps audacieux. C’est difficile d’y parvenir surtout lorsque l’on a habitué les citoyens à une forme d’État Providence qui distribue à tout va une manne rentière sans se donner les vrais moyens de création de richesse. Tout le monde voudrait vivre la prospérité sans avoir à travailler et à faire des efforts. Mais cela nous mènerait où ?

L’Algérie est dans une course contre la montre. Nous devons mobiliser tous les atouts et tous les moyens propres pour relancer une économie productive capable in fine de subvenir à ses propres besoins en se passant des entrées des hydrocarbures qui ont une durée de vie de quelques années. La conjoncture internationale est très favorable pour nous. Je ne comprends pas l’inaction du gouvernement dans ce domaine. Au lieu de s’occuper à mettre en prison des vendeurs de bananes (relaxés d’ailleurs par la justice) il faut plutôt négocier des relocalisations d’entreprises européennes, par exemple, qui sont à la recherche de sources énergétiques stables et sûres. Il faut encourager l’investissement en mettant en confiance les opérateurs et les détenteurs de capitaux. Je suis jaloux quand je vois certains pays saisir immédiatement les bonnes opportunités alors que nous les ratons bien que nous avons toutes les conditions pour en profiter. Combien de citoyens Russes ont réinvestis leurs avoirs dans les banques algériennes ? Combien d’hommes d’affaires Allemands, Français, Espagnols ou Italiens ont relocalisé leurs activités en Algérie ? Pourquoi il n’y a toujours pas une bourse d’Alger digne de ce nom ? Pourquoi chaque circuit financier et économique doit toujours passer par les coulisses feutrées des ministères ?

La grande prédation a peut-être été éliminée avec une partie de l’oligarchie mais de nouveaux circuits sont entrain de se reconstituer. Les mêmes causes entrainent toujours les mêmes effets.

Pour clore ce chapitre, la seule solution envisageable est une alliance de tous les patriotes et dans toutes les institutions pour mettre en application une feuille de route aux objectifs stratégiques discutés et bien définis. C’est notre chemin de salut !