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Le projet de loi sur la commune, élaboré par un comité d’experts sous la supervision de l’ancien ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia, propose une réforme structurelle et organisationnelle de la gestion communale en Algérie. Cette réforme intervient après plus d’une décennie d’application de la loi 10-11, qui, malgré ses apports, a révélé des limites dans sa capacité à répondre aux besoins de gouvernance locale, d’efficacité administrative et de développement équilibré.
Ce projet de loi s’inscrit dans une dynamique de modernisation et de rationalisation de la gestion des collectivités locales. Il vise à renforcer la démocratie locale, à améliorer la transparence et la performance économique des communes, tout en assurant un développement territorial harmonieux et durable. Il s’articule autour de cinq principes fondamentaux :
- La rationalisation territoriale, en proposant une classification différenciée des communes en fonction de leurs caractéristiques démographiques, géographiques et économiques.
- La stabilité institutionnelle, en réformant les processus électoraux et en introduisant des mécanismes pour résoudre les blocages au sein des conseils municipaux.
- La démocratie participative, en encourageant l’implication des citoyens et des acteurs économiques et culturels dans la prise de décision locale.
- La modernisation des mécanismes financiers, en diversifiant les sources de financement et en introduisant des outils de gestion plus efficaces.
- La préservation et la gestion durable des ressources naturelles, avec un accent particulier sur la protection et l’exploitation raisonnée des terres agricoles.
Ce commentaire aborde d’abord les questions traitées directement dans le projet de loi, avant d’intégrer et d’analyser les questions additionnelles soulevées pour compléter et renforcer les dispositions existantes.
I. Questions traitées dans le projet de loi
1. Classification des communes :
Un cadre territorial adapté aux besoins locaux.
Principe :
Le projet de loi introduit une nouvelle classification des communes en urbaines, semi-urbaines et rurales, basée sur des critères démographiques, économiques et géographiques. Cette différenciation vise à adapter les politiques d’aménagement et d’investissement aux réalités locales.
Avancées :
- Elle permet une gestion ciblée et différenciée des communes, en alignant les politiques publiques sur leurs besoins spécifiques.
- Les communes les plus vulnérables bénéficient de mécanismes d’accompagnement et de soutien, tels que des subventions spécifiques ou des aides techniques.
Risques :
- Une classification trop rigide risque d’accentuer les disparités entre communes riches et pauvres, créant des déséquilibres en termes d’accès aux ressources et aux services.
- Les communes rurales pourraient rester dépendantes des aides de l’État, freinant leur autonomie financière et leur développement à long terme.
Mesures d’atténuation :
- Création d’un fonds de péréquation pour garantir une redistribution équitable des ressources entre les communes.
- Mise en place de plans de développement local spécifiques, adaptés aux réalités et aux priorités de chaque type de commune.
- Suivi régulier par des audits et des rapports publics pour évaluer l’efficacité des mesures adoptées.
2. Gouvernance locale et gestion des blocages institutionnels
Principe :
Le projet propose une réforme du mode d’élection des maires, en privilégiant une majorité absolue pour garantir la stabilité institutionnelle. Il prévoit également la création de commissions temporaires pour gérer les situations de blocage au sein des conseils municipaux.
Avancées :
- Cette mesure réduit les conflits internes liés aux coalitions et assure une gouvernance plus stable.
- En cas de blocage, les commissions temporaires permettent d’assurer la continuité des services publics et d’éviter l’immobilisme administratif.
- Nouveau mode d’élection des présidents d’APC
Risques :
- La suppression des coalitions pourrait limiter la diversité politique et marginaliser certaines formations minoritaires, compromettant ainsi la représentativité. Ainsi que la diminution des rôles des partis politiques au profit des indépendants.
- Les commissions temporaires risquent d’être perçues comme une ingérence excessive de l’État dans la gestion locale, surtout si elles manquent de transparence.
- Le Wali peut bloquer ou influencer la poursuite judiciaire contre un maire.
Mesures d’atténuation :
- Introduction de quotas politiques pour garantir une diversité et une pluralité au sein des conseils municipaux.
- Encadrement strict de la durée et des compétences des commissions temporaires, avec des mécanismes de contrôle indépendants pour limiter les abus.
- Organisation d’élections anticipées dans les délais les plus courts possibles pour rétablir la légitimité démocratique.
- Clarification juridique s’impose pour éviter les abus et garantir que le pouvoir (du Wali) soit encadré et motivé par des critères objectifs (par exemple, éviter des accusations infondées ou politiques).
3. Participation citoyenne et comités consultatifs
Principe :
Le projet prévoit la création de comités consultatifs, impliquant des citoyens, des acteurs économiques, culturels et associatifs dans la gestion des affaires locales.
Avancées :
- Ces comités renforcent la démocratie participative en donnant une voix directe aux citoyens.
- Ils permettent d’intégrer des compétences techniques et des idées novatrices dans la gestion locale.
Risques :
- Les comités pourraient devenir des espaces de clientélisme ou être dominés par des groupes d’intérêts, réduisant leur efficacité.
- Des conflits de compétences avec les conseils municipaux élus peuvent survenir, créant des tensions.
Mesures d’atténuation :
- Définir des missions claires et précises pour les comités afin d’éviter les chevauchements de compétences.
- Publier des rapports réguliers sur leurs travaux pour garantir la transparence et la reddition des comptes.
- Veiller à une représentation équilibrée des différentes catégories sociales et économiques au sein des comités.
4. Gestion budgétaire confiée au secrétaire général
Principe :
Le projet confie au secrétaire général de la commune la responsabilité d’exécuter le budget communal en tant qu’ordonnateur délégué. Cette mesure vise à professionnaliser la gestion financière et à garantir une meilleure transparence dans l’utilisation des fonds publics.
Avancées :
- Renforce l’efficacité et la rigueur administrative grâce à des gestionnaires qualifiés.
- Assure une continuité dans la gestion budgétaire, même en cas de crise politique ou institutionnelle.
- Améliore la traçabilité des dépenses et réduit les risques d’irrégularités financières.
Risques :
- Réduction du rôle politique du maire, qui peut perdre en autorité face à un secrétaire général souvent nommé par l’administration centrale.
- Bureaucratisation excessive et ralentissement des prises de décision.
Mesures d’atténuation :
- Maintenir au maire un droit de regard sur les décisions stratégiques et budgétaires.
- Introduire des audits annuels indépendants pour assurer la transparence et la responsabilité.
- Créer un comité de surveillance budgétaire au sein du conseil municipal pour superviser l’action du secrétaire général.
5. Modernisation financière et diversification des ressources économiques
Principe :
Le projet de loi introduit de nouveaux mécanismes de financement pour renforcer l’autonomie des communes et leur capacité à lancer des projets structurants. Ces mécanismes incluent les partenariats public-privé (PPP), la mutualisation des ressources intercommunales, et le recours à des emprunts bancaires pour financer les infrastructures et les services publics.
Avancées :
- Diversification des sources de financement pour réduire la dépendance aux subventions de l’État.
- Encouragement à la coopération entre communes pour des projets communs, favorisant l’économie d’échelle.
- Promotion d’investissements publics et privés pour stimuler la croissance économique locale.
Risques :
- Risques de mauvaise gestion des emprunts, pouvant alourdir l’endettement des communes et compromettre leur viabilité financière.
- Possibilité de corruption ou de favoritisme dans l’octroi des partenariats public-privé.
- Fragilité des petites communes qui pourraient avoir du mal à attirer des investisseurs privés.
Mesures d’atténuation :
- Mise en place d’un cadre réglementaire clair pour encadrer les partenariats public-privé et protéger les intérêts des communes.
- Audits financiers réguliers pour contrôler l’utilisation des fonds et prévenir la corruption.
- Formation des gestionnaires municipaux sur les techniques de gestion budgétaire et l’évaluation des risques financiers.
- Développement d’un système de garanties pour protéger les communes contre les risques de surendettement.
- Pouvoirs exécutifs élargis et sécurité locale
Principe :
Le projet accorde au maire des pouvoirs élargis, notamment en matière de maintien de l’ordre public. Il lui confère la qualité d’officier de police judiciaire et prévoit la création d’une police municipale placée sous son autorité pour renforcer sa capacité d’intervention.
Avancées :
• Renforcement des compétences du maire pour répondre rapidement aux problématiques locales de sécurité et d’ordre public.
• Création d’une police municipale pour assurer un suivi plus proche des préoccupations des citoyens.
• Capacité d’intervention directe pour prévenir les infractions et garantir l’application des règlements municipaux.
Risques :
• Concentration excessive des pouvoirs dans les mains du maire, pouvant conduire à des abus d’autorité.
• Risques de dérives sécuritaires et de politisation des forces municipales.
• Conflits potentiels entre la police municipale et les autres forces de sécurité nationales.
Mesures d’atténuation :
1. Encadrement juridique strict des nouvelles compétences du maire, avec des mécanismes de contrôle par le wali et les tribunaux administratifs.
2. Création d’une instance de supervision chargée d’évaluer l’action de la police municipale.
3. Formations spécialisées pour les agents de la police municipale afin de garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens.
4. Obligation pour le maire de présenter des rapports annuels d’activité au wali et au conseil municipal.
II. Questions additionnelles intégrées au commentaire
1. Préservation et exploitation durable des terres agricoles
Problématique :
Le projet de loi ne traite pas explicitement la question cruciale de la préservation des terres agricoles, qui sont menacées par l’expansion urbaine, l’industrialisation et l’abandon. Pourtant, ces terres jouent un rôle stratégique dans la sécurité alimentaire et la durabilité environnementale.
Avancées proposées :
- Création d’un zonage protégé des terres agricoles pour prévenir leur urbanisation non contrôlée.
- Élaboration de plans d’aménagement durables imposant des études d’impact environnemental avant tout changement d’affectation des sols.
- Promotion de l’agriculture durable et modernisée grâce à des incitations fiscales pour les exploitants.
Risques :
- Spéculation foncière menaçant les terres agricoles malgré les protections légales.
- Manque de moyens pour contrôler et surveiller l’usage effectif des terres.
- Résistance des investisseurs immobiliers et industriels.
Mesures d’atténuation :
- Création d’un registre communal des terres agricoles pour inventorier et surveiller leur utilisation.
- Instauration de sanctions financières en cas d’abandon ou de non-exploitation prolongée des terres.
- Développement d’un programme de soutien aux coopératives agricoles pour encourager la production locale et préserver les terres exploitées.
- Création d’un observatoire foncier chargé d’évaluer l’évolution de l’occupation des sols et de publier des rapports annuels.
2. Utilisation des terres agricoles abandonnées ou non exploitées
Problématique :
Le projet de loi ne propose pas de solutions spécifiques pour lutter contre l’abandon des terres agricoles ou leur sous-exploitation, ce qui constitue un problème majeur pour la productivité et la souveraineté alimentaire.
Avancées proposées :
- Obligation pour les propriétaires d’exploiter leurs terres sous peine de sanctions financières.
- Autorisation pour les communes de réquisitionner temporairement les terres abandonnées pour les mettre en exploitation via des coopératives ou des projets agricoles collectifs.
- Incitations fiscales pour encourager la remise en culture des terres délaissées.
Risques :
- Résistance des propriétaires à l’intervention communale.
- Complexité administrative pour définir l’état d’abandon et réquisitionner légalement les terres.
Mesures d’atténuation :
- Création de commissions d’évaluation au niveau communal pour identifier les terres abandonnées.
- Adoption d’un cadre légal clair pour encadrer les réquisitions et garantir les droits des propriétaires.
- Mise en place d’un programme d’accompagnement agricole pour favoriser la relance des activités productives sur les terres réquisitionnées.
3. Mobilisation des terres agricoles en cas d’urgence
Problématique :
En période de crise alimentaire ou d’urgence économique, il devient crucial de pouvoir mobiliser rapidement des terres pour renforcer la production agricole.
Avancées proposées :
- Création de réserves foncières communales destinées à être mises en exploitation rapide en cas de besoin.
- Autorisation temporaire pour les communes d’exploiter des terres inutilisées en coordination avec les agriculteurs locaux.
Risques :
- Risques de dérives dans la réquisition temporaire des terres.
- Contestations juridiques et sociales.
Mesures d’atténuation :
- Encadrement légal strict pour limiter les réquisitions aux situations d’urgence justifiées.
- Indemnisation équitable des propriétaires concernés.
Conclusion
Une réforme fondatrice pour la République
Ce projet de loi marque une étape décisive dans la modernisation de la gestion communale en Algérie. Il propose des outils juridiques et institutionnels pour renforcer l’efficacité, la transparence et la démocratie locale. Toutefois, sa réussite dépendra d’une mise en oeuvre rigoureuse, d’une surveillance continue et d’un équilibre entre centralisation et autonomie locale.
En intégrant des mesures additionnelles sur la préservation des terres agricoles, leur exploitation durable et leur mobilisation en cas d’urgence, cette réforme peut véritablement répondre aux défis de la gouvernance locale, du développement durable et de la sécurité alimentaire, consolidant ainsi l’État républicain et ses fondations démocratiques.
Par R. Abdelkrim – universitaire et membre du Conseil Scientifique de Jil Jadid
- Les contributions exprimées dans ce document reflètent les points de vue de leurs auteurs et ne représentent pas nécessairement la position officielle de Jil Jadid.