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Tensions France-Algérie : Analyse des causes et perspectives d’avenir

Temps de lecture : 6 minutes

Deux jours après l’appel téléphonique entre les présidents algérien Abdelmadjid Tebboune et français Emmanuel Macron qui a mis fin à 8 mois de crise inédite entre les deux pays, les réactions se poursuivent en France et en Algérie.

Alors que le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères Jean-Noël Barrot est attendu le 6 avril pour entamer la mise en œuvre de la feuille de route tracée par les deux chefs d’Etat pour relancer la relation bilatérale, les réactions en France et en Algérie, alternent entre espoir, critiques et scepticisme.

A Alger, les milieux d’affaires français dans l’expectative

A Alger, la prudence règne dans les milieux d’affaires français qui ont été mis à rude épreuve durant ces 8 mois de crise. « Ce n’est ni le soulagement, ni l’inquiétude. Personne n’est assez naïf pour croire que c’est fini », remarque une source patronale.

Plus de 6.000 entreprises françaises travaillent avec l’Algérie dont les échanges commerciaux avec la France ont atteint 11,1 milliards d’euros en 2024.

Ces entreprises s’inquiétaient de l’impact de l’aggravation de la crise sur leur avenir en Algérie, un pays où la France ne cesse de perdre du terrain au plan économique.

Si les patrons français présents en Algérie restent prudents et attentifs à la suite des évènements, les responsables politiques de part et d’autre de la Méditerranée se sont exprimés sur la reprise du dialogue entre Alger et Paris.

Dans un entretien à TSA, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid estime qu’ « il n’est jamais assez tôt pour mettre fin à une crise dont les retombées ne sont à l’évidence dans l’intérêt de personne ».

« Nos deux pays sont condamnés à trouver des solutions à nos désaccords dans un cadre négocié. La volonté de créer un rapport de force et de contraindre l’Algérie à se soumettre aux desideratas d’un pouvoir étranger ne peut être accepté. Il y a eu trop d’interférences idéologiques et géopolitiques dans cette relation et disons-le honnêtement, le désordre actuel dans le pouvoir français y est pour beaucoup. L’élite politique française a tendance à vouloir gérer ses propres difficultés en recherchant un bouc émissaire », explique-t-il.

« L’Algérie est devenue la source pestiférée de tous les maux de la France »

Sofiane Djilali dénonce aussi une campagne « outrancière » contre l’Algérie menée en France par l’ex-ambassadeur Xavier Driencourt, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, les médias…

« Il est inédit qu’un ancien ambassadeur français à Alger devienne aussi offensif contre l’Algérie sans qu’il ne soit rappelé à l’ordre par son gouvernement et surtout qu’un ministre de l’intérieur en fonction fasse feu de tout bois pour présenter l’Algérie sous une image exécrable. Des députés, des politiques, des journalistes ont mené une campagne outrancière contre l’Algérie. Cela ne pouvait qu’avoir, à terme, des conséquences graves sur notre pays et surtout sur notre communauté en France », développe-t-il.

Il ajoute que le jeu politique interne en France s’est « emparé de la question algérienne, pour mobiliser un électorat de plus en plus remonté contre l’immigration », en soulignant que la « malhonnêteté a été d’imputer les problèmes socio-économiques, sociétaux, identitaires et de criminalités, qui sont du reste une réalité en France, à l’Algérie et aux seuls Algériens. »

« Dans ce discours, l’Algérie est devenue la source pestiférée de tous les maux de la France. C’est un discours extrêmement dangereux pour l’avenir car il touche à la qualité de la relation entre les deux peuples au-delà de celle des deux gouvernements.

Que le Président Macron ait pu se réapproprier ce dossier et rétablir en interne un fragile équilibre à ce sujet au sein de son gouvernement est une bonne chose en soi », regrette Soufiane Djilali.

Le président de Jil Jadid (opposition) se pose aussi de nombreuses questions sur la gestion de cette crise du côté algérien.

« Maintenant, il faut que de notre côté aussi, nous opérions une introspection. Comment se fait-il que nous devenions aussi facilement la cible de ces attaques ? Sommes-nous, nous-mêmes et au moins en partie, responsables de cette situation ? Est-ce que notre attitude n’alimente pas les ressentiments en France ? Est-ce que, face à de vrais problèmes, notre réaction est adaptée et n’offre pas le flanc à ces multiples attaques ? »

Il rappelle que « l’une des principales sources de cette dernière crise a été sans conteste la question du Sahara Occidental », en soulignant que la France « s’est permise d’offrir à un pays tiers un territoire et ses habitants qui ne lui appartiennent pas en cautionnant une occupation coloniale. »

« Comment se fait-il qu’elle ait pu outrepasser le droit international sans considération pour notre pays sachant la sensibilité de cette question ? Sommes-nous à ce point faibles à ses yeux pour que les intérêts illégitimes du Maroc passent par-dessus une relation respectueuse avec l’Algérie ?

Comment avons-nous réagi dans notre stratégie de défense de cette juste et légitime cause face aux jeux d’intérêts de nos partenaires ? », s’interroge-t-il encore.

Soufiane Djilali s’interroge aussi sur les raisons du retrait de l’ambassadeur d’Algérie à Paris après la décision de Macron de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, le 31 juillet dernier. Depuis, ce poste est vacant.

« Pourquoi dans leur communiqué de lundi, commun aux deux Présidents, (que j’évalue comme déséquilibré en notre défaveur), il n’y a pas eu un mot sur les légitimes revendications algériennes, tel le cas des victimes des essais nucléaires ou sur la question du Sahara Occidental alors que le nom d’un délinquant (Boualem Sansal, NDR) aux yeux du droit algérien a eu l’honneur d’y être cité ? », pose-t-il encore la question

Sur Boualem Sansal dont le président Macron a demandé au président Tebboune un geste de clémence après sa condamnation à 5 ans de prison ferme par le tribunal de Dar el Beida (Alger) pour notamment atteinte à l’unité nationale, Soufiane Djilali s’interroge aussi si la France va extrader les délinquants politiques algériens réfugiés chez elle, allusion à l’ancien ministre Abdeslam Bouchouareb qui a été condamné plusieurs fois pour corruption en Algérie, mais la justice française a rejeté la demande d’extradition d’Alger.

Soufiane Djilali n’épargne pas la classe politique algérienne qui a été « largement absente ou inutile, durant cette crise car discréditée par le pouvoir lui-même », ainsi que les médias algériens, qui selon lui, « n’ont eu aucune portée significative et n’ont pu défendre l’image de notre pays. Ils sont inexistants sur la scène médiatique internationale. »

En France, les réactions se poursuivent et l’appel téléphonique entre Tebboune et Macron fait grincer des dents à droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique français qui sont hostiles à une réconciliation avec l’Algérie. Eric Ciotti, allié du Rassemblement national (RN) s’est distingué par des positions d’une extrême violence à l’égard de l’Algérie et des Algériens s’en prend à Bruno Retailleau et à Emmanuel Macron qu’il accuse de « soumission » à l’Algérie.

« Maintenant, il faut des actes »

« Sur l’Algérie, une question simple : où est Monsieur Retailleau ? Pendant des semaines, le ministre de l’Intérieur a montré ses muscles. Mais à la fin, c’est la soumission d’Emmanuel Macron à l’Algérie qui vient de l’emporter ! Les visas seront toujours délivrés par dizaines de milliers et les OQTF non exécutées ! », a-t-il dit.

David Lisnard, président des maires de France et soutien de Bruno Retailleau pour la présidence des LR (droite) est moins virulent : « Que Macron discute avec Tebboune, c’est normal. Maintenant, il faut des actes. On ne peut plus laisser la France se faire souiller par l’Algérie ».

A gauche, les réactions sont positives. Le député LFI David Guiraud qui a critiqué sévèrement la méthode Retailleau dans la gestion de la crise avec l’Algérie estime que le communiqué commun publié à l’issue de l’appel téléphonique entre Tebboune et Macron est un désaveu au ministre de l’Intérieur.

Un « désaveu » au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau

« Le communiqué commun des présidents Macron et Tebboune marque une rupture avec la méthode et les provocations inutiles du Ministre Retailleau. C’est un désaveu important : L’Algérie n’est plus une colonie française et ses relations diplomatiques avec la France ne doivent plus être traitées par le Ministère de l’Intérieur », a réagi David Guiraud, dont le parti est l’un des rares en France à avoir dénoncé les attaques contre l’Algérie et les Algériens, en prenant une position claire sur la crise.

Soufiane Djilali n’est pas surpris par les réactions de la droite et de l’extrême droite françaises. « Il faut dire que l’extrême droite mais aussi une certaine « droite républicaine » sont en plein naufrage avec les récentes et scabreuses affaires judiciaires. Il est vrai qu’il y a une droitisation de l’électorat français mais aussi une atomisation de ses leaders. Des remous politiques sont inévitables d’ici la prochaine élection présidentielle dont les résultats sont totalement incertains et imprévisibles », explique le président de Jil Jadid.

Soufiane Djilali estime que « même la Ve République semble à bout de souffle », en soulignant que « la nouvelle géopolitique due à l’effondrement de l’ordre mondial instauré en 1945 et modifié en 1991, présage d’une reconfiguration profonde des rapports internationaux. Personne ne peut donc dire avec certitude ce que sera l’avenir même s’il est clair que la multipolarité s’impose déjà. »

Que faut-il faire pour mettre la relation franco-algérienne à l’abri des enjeux politiques intérieurs en France ?

Pour l’avenir des relations franco-algériennes et la façon de les prémunir contre les enjeux de politique intérieure aussi bien en France qu’en Algérie, l’homme politique algérien affiche son scepticisme.

« Malheureusement, il n’y a aucun moyen de sanctuariser cette relation. Elle subira les fluctuations politiques tant internes qu’externes, chez nous mais aussi en France. Il faudra, avec le temps, trouver le chemin pour vider tous les abcès qui empoisonnent ces relations. Il n’y a pas de doutes que l’Algérie a encore, en France, des amis et surtout des hommes politiques conscients de l’importance de notre pays dans l’avenir commun des riverains de la méditerranée, entre l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord. Espérons qu’une nouvelle approche plus audacieuse, plus équilibrée et plus tournée vers l’avenir puisse s’imposer », souligne-t-il.

Pour Soufiane Djilali, l’Algérie a « besoin d’une realpolitik qui allie lucidité à réalisme, fermeté sur les principes et souplesse diplomatique ».

« L’Algérie doit se concentrer sur sa cohésion interne et son développement économique. Elle a clairement besoin d’une vision et d’une stratégie de long terme que nous avons, pour le moment, remplacée par des politiques défensives et réactionnelles c’est-à-dire, au fond, émotionnelles. Sincèrement, je ne voie pas, pour le moment, les prémisses d’une telle politique », conclut-il.

Tribune du président du parti Jil JadidSoufiane Djilali pour le Journal TSA.

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