Algérie 2026 : la résilience économique à l’épreuve des réalités
Par Zoheir Rouis
Vice-président de Jil Jadid
À l’aube de l’année 2026, l’économie algérienne aborde un tournant délicat. Car derrière une résilience apparente, des fragilités structurelles persistantes freinent les ambitions d’émergence et font que les promesses s’émoussent. L’année 2026 pourrait bien marquer l’heure de vérité économique pour le pays, face à une conjoncture internationale incertaine et à des équilibres internes précaires.
Une économie qui piétine, loin des ambitions annoncées
Pourtant, à chaque occasion, le pouvoir s’engage publiquement sur des cibles ambitieuses : doublement du PIB, taux de croissance, emploi des jeunes, explosion des exportations hors hydrocarbures, relance industrielle, …
Mais les résultats sont là : les indicateurs stagnent, les structures restent figées, et le cap stratégique reste flou. Derrière les retards et les résultats décevants se cache une réalité plus profonde : l’absence de réformes structurelles.
Les mesures ponctuelles — restriction des importations, revalorisation de l’allocation touristique, baisse du taux directeur, soutien à l’économie informelle du cabas — ne peuvent constituer une politique économique cohérente. Elles ont produit des effets contradictoires, voire contreproductifs, en amplifiant certaines tensions (inflation, informalité, distorsion des prix) sans réorienter l’économie vers la production. Ces mesures ne peuvent remplacer la nécessité de réformes structurelles.
Certes des projets industriels ont vu le jour, des mesures ont été prises pour booster certaines filières, les exportations ont légèrement progressé. Mais ces avancées restent marginales, non structurées et trop isolées pour changer la trajectoire générale.
Notre modèle de croissance reste irrémédiablement inchangé : hydrocarbures + dépenses publiques + transferts sociaux. Ce n’est pas une stratégie. C’est un équilibre précaire.
Une croissance modérée, mais fragile
En 2026, le taux de croissance du PIB devrait osciller entre +2,5 % et +4,5 %, selon les projections convergentes des institutions financières internationales. Ce chiffre, bien qu’encourageant, masque une réalité plus nuancée. Car cette croissance reste encore largement tirée par les hydrocarbures, dans un contexte de volatilité des prix du pétrole et du gaz. La dépendance de l’économie nationale à ces ressources constitue toujours un talon d’Achille.
Des finances publiques sous tension
En 2026, officiellement, le budget atteindrait près de 18 000 milliards de dinars, le gouvernement ayant choisi de poursuivre une politique budgétaire expansionniste, en maintenant les subventions et en augmentant les dépenses sociales. Cette orientation offre une forme de stabilité sociale mais elle creuse un déficit structurel de plus en plus préoccupant. Il devrait dépasser les 6 500 milliards de dinars en 2026, tandis que les recettes hors hydrocarbures demeurent insuffisantes pour financer durablement les dépenses de l’État. Le recours à l’endettement intérieur devient donc inévitable, augmentant la pression inflationniste et affaiblissant la valeur du dinar. Heureusement, la dette extérieure reste limitée, ce qui offre une certaine marge de manœuvre à court terme. Mais la question de la soutenabilité budgétaire à moyen terme reste entière.
Des réserves de change en pente douce
Passant de plus de 70 milliards USD en 2024 à environ 64 milliards USD en 2026, les réserves de change continuent de s’éroder progressivement. Leur lente décrue traduit une détérioration du compte courant, due notamment à une hausse continue des importations — notamment de biens de consommation — et à des exportations hors hydrocarbures encore trop faibles.
Le déficit de la balance courante, estimé à -2,5 % du PIB en 2026, souligne les limites d’un modèle économique toujours très dépendant de la rente énergétique. À l’heure où la transition énergétique mondiale s’accélère, en particulier chez nos partenaires, cette dépendance constitue une vulnérabilité structurante.
Un marché des devises révélateur de malaise
Le marché des devises pour 2026 devrait rester tendu à moins qu’un plan de réforme des changes ne soit lancé pour stabiliser le dinar.
Parmi les mesures prises récemment, plusieurs ont visé à réguler l’accès aux devises. Les conséquences sont concrètes : inflation importée, perte de pouvoir d’achat, surcoût pour les entreprises, …
Sans réformes structurelles , notamment sur la fiscalité, la diversification économique et la gouvernance, le désalignement entre le cours officiel et le taux parallèle va amener un scénario de dévaluation progressive, ce qui sera davantage douloureux.
Une diversification encore timide
L’un des principaux défis de l’Algérie pour 2026 reste la diversification économique. Certes, des progrès ont été réalisés : les exportations hors hydrocarbures ont triplé depuis 2019. Mais elles demeurent concentrées sur des produits à faible valeur ajoutée (ciment, engrais, produits semi-transformés), peu créatrices d’emplois qualifiés et à forte empreinte carbone — ce qui limitera leur viabilité dans les années à venir, notamment face aux normes européennes (taxe carbone aux frontières, etc.).
Une tension inflationniste persistante sur une société déjà sous pression
Pour 2026, l’inflation est attendue entre 5 % et 6 %, selon la majorité des scénarios crédibles. Ce qui, dans un contexte de restriction des produits importés et de renchérissement des devises, maintient une pression importante sur les ménages dont le revenu réel va diminuer. Il leur sera d’autant plus difficile de supporter le surenchérissement du coût de l’alimentation et des produits de première nécessité, accentuant ainsi la dépendance aux aides de l’Etat. Cela se répercutera dans le déficit budgétaire. Par ailleurs, une pression inflationniste ça freine la croissance et l’investissement des entreprises et plombe la compétitivité-prix des produits algériens à l’export, ce qui se traduira par davantage de contraction des revenus des exportations hors hydrocarbures et accentuera la dépendance aux revenus des hydrocarbures. Au final, la persistance de la pression inflationniste va impacter les prévisions optimistes de croissance avec ce que cela sous-tend comme effets négatifs sur l’économie, l’emploi et la situation sociale.
Une fenêtre d’opportunité à ne pas manquer
L’Algérie a des atouts immenses. Une jeunesse dynamique, nombreuse et éduquée, des ressources abondantes, un potentiel industriel inexploité, un positionnement géographique stratégique, une diaspora engagée. Mais ces atouts ne se transformeront pas automatiquement en leviers de croissance durable.
L’année 2026 pourrait être décisive. Soit l’Algérie s’engage résolument dans une politique de réformes courageuses, ambitieuses, réelles et authentiques — fiscalité, gouvernance, libéralisation partielle du commerce, soutien ciblé à l’industrie locale — soit elle s’enferme dans un statu quo coûteux sur tous les plans.
Malgré un contexte économique marqué par des déséquilibres persistants, les leviers conjoncturels que sont la croissance et les réserves de change peuvent appuyer ce sursaut stratégique attendu. D’autant que l’endettement extérieur reste limité, ce qui préserve une marge de manœuvre à court terme. Ces éléments, bien que partiels et fragiles, constituent autant d’opportunités à saisir pour enclencher une transformation durable du modèle économique. À condition toutefois de rompre avec ce qui s’apparente à un pilotage conjoncturel et d’engager, sans plus tarder, les réformes structurelles attendues.
Car au-delà des chiffres, ce qui est en jeu, c’est la capacité du pays à créer de la richesse durablement, à générer de l’emploi productif, et à garantir un niveau de vie décent à l’ensemble de la population, sans dépendre exclusivement des fluctuations du baril.
Changer de paradigme
Il ne s’agit pas d’ajuster à la marge ou de corriger quelques déséquilibres. Il s’agit de changer de cap. D’abandonner un modèle centré sur la dépense publique et la rente, pour un modèle basé sur la production, l’innovation, l’investissement et la transparence. Ce qui suppose des réformes fiscales, une vraie stratégie industrielle, une gouvernance économique rénovée, et un climat d’affaires sécurisé.
Il est encore temps d’agir. 2026 peut être le début d’un redressement. Mais à condition d’admettre l’échec des recettes actuelles et de cesser les discours d’auto-congratulation avec des chiffres décoratifs.
Le potentiel est là ! Ce qui nous manque, ce ne sont pas les moyens, mais la volonté, la confiance et la vision stratégique, cohérente et audacieuse incarnées par des femmes et des hommes aptes à s’engager dans cette voie. C’est ce que les Algériens attendent aujourd’hui. Des réformes concrètes, visibles, équitables et des résultats.
Chez Jil Jadid, nous croyons qu’il est encore temps de changer le cours de notre économie.