Soufiane Djilali : « le pays a besoin de se réconcilier avec lui-même »

Soufiane Djilali : « le pays a besoin de se réconcilier avec lui-même »

Temps de lecture : 6 minutes

 

Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Soufiane Djilali avec Yahia Maouchi pour le site d’informations en ligne La Patrie News 

 

Militant accompli et opposant responsable, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali fait partie de la nouvelle génération des politiques algériens. Il faut reconnaître à l’homme sa constance. Convaincu par l’option du dialogue politique sans exclusion, Soufiane Djilali est aussi un patriote qui ne perd jamais de vue l’intérêt du pays. Dans cet entretien exclusif qu’il a bien voulu nous accorder, il s’est livré au jeu des questions-réponses sur nombre de questions qui marquent l’actualité du pays.

 

La PatrieNews : Quel regard portez-vous sur la situation politique qui prévaut aujourd’hui dans le pays ?

 

Soufiane Djilali : Le pays est devant un défi. Il doit autant régler sa crise politique interne qui perdure depuis bien trop longtemps que dépasser les pressions internationales qui commencent à peser sur lui. Il n’y a pas de doute que l’Algérie a été affaiblie par 10 ans de terrorisme puis 20 de Bouteflikisme. De par son histoire, sa révolution, son désir de souveraineté, l’Algérie dérange autant symboliquement que d’un point de vue géostratégique. Dans les relations internationales, il n’y a pas de sentiments mais des intérêts partagés. A nous de saisir ce qui se passe et de défendre lucidement notre place sur l’échiquier du monde qui se dessine. Pour cela, il nous faut rapidement retrouver un consensus interne, une cohésion et une stabilité politique. C’est la logique qui est en cours avec la nouvelle Constitution et la prévision d’élections législatives puis locales.

 

Devant l’absence du chef de l’Etat, qui est hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre, plusieurs décisions capitales devant être prises en urgence sont retardées. Outre la question sanitaire, sur le plan socio-politique, et économique le pays fonctionne au ralenti. Quelles seraient, selon vous les retombées de tous ces facteurs sur l’avenir du pays ?

 

Oui, des événements imprévisibles dus à la Covid19 ont retardé le calendrier et surtout ont failli replonger le pays dans une crise institutionnelle. L’apparition du Chef de l’Etat ce 13 décembre fait éloigner le spectre d’une déstabilisation. Le monde entier souffre de cette pandémie. Cependant, l’Algérie est dans une position très fragile et ne peut se permettre de rester paralysée trop longtemps. A mon avis, dès le retour du Président de la République, des changements perceptibles par le citoyen devraient être engagés. Le statu quo serait mortel.

 

Selon vous comment changer le système et le rendre plus ouvert, et construire l’Etat de droit que veulent les Algériens, sans tomber dans le piège de la logique des révolutions de printemps ?

 

Avoir la construction de l’Etat de droit comme objectif stratégique est déjà structurant. Si le geste joint la parole, un consensus deviendra naturel. Pas un seul Algérien de bonne foi ne refusera de s’engager sur un tel objectif. A charge pour les dirigeants de convaincre de leurs intentions et de donner les nécessaires gages politiques à une population prête à être compréhensive pour peu qu’elle soit mise en confiance sur des actes concrets. Il reste que le souffle du Hirak peut être dévié par des jeux malsains. Des poches de résistances de l’ancien régime mais aussi une incompréhension des vrais enjeux géopolitiques par une classe politique désabusée peuvent compliquer une situation déjà confuse. Le jusqu’au-boutisme et la passion débridée deviennent un écueil devant la construction de la démocratie.

 

Après avoir rencontré le président Tebboune, certains acteurs du Hirak vous reprochent de mener une politique de « rapprochement » avec le nouveau pouvoir, votre réponse.

 

Le reproche vient du fait d’une divergence de point de vue. A Jil Jadid, nous sommes convaincus qu’il y a eu effondrement du régime Bouteflika, et qu’une possibilité s’ouvre devant nous pour reconstruire une nouvelle gouvernance sans avoir à verser dans le radicalisme. D’autres pensent au contraire que rien n’a changé et que c’est le moment de peser sur le pouvoir pour le faire céder, quitte à se faire aider par l’étranger. Au-delà du fait que je puisse admettre ne pas posséder la vérité (qui pourrait le prétendre ?), il reste que je ne peux marcher, dans aucun cas, dans l’illusion du soutien désintéressé par de tierces parties. L’avenir nous dira où était le patriotisme et où étaient les intérêts de chacun et surtout avec qui.

 

Quant à mon contact avec le Président de la République, il a été public, et j’en ai fait, à chaque fois, un compte rendu à l’opinion publique. Mon intercession auprès de lui a tout de même ramené la liberté à quelques détenus. A part cela, Jil Jadid n’a bénéficié d’aucun dû ou indu avantage. Nous essayons de contribuer à trouver les bonnes solutions au bénéfice du pays et nous n’avons entravé l’action de personne. Si d’autres ont de meilleures solutions eh bien qu’ils les proposent. Vouloir critiquer sans jamais rien proposer est trop facile.

 

Le FMI ne cesse d’alerter sur les faiblesses de l’économie algérienne, aggravées par la pandémie mondiale. À l’instar du Venezuela ou de la Libye, le problème de fond reste la trop grande dépendance aux hydrocarbures, faute d’avoir développé une économie diversifiée. Comment voyez-vous le dénouement de la situation ?

 

J’ai eu à me prononcer très souvent sur cet aspect des choses et depuis plusieurs années. C’est d’ailleurs la politique économique des différents gouvernements de Bouteflika qui m’a incité, à plusieurs reprises à publier des contributions très  critiques depuis le début des années 2000.

 

La dilapidation des moyens du pays et d’une manière grossière m’avait profondément heurté. Il y a eu un saccage des capacités de production de l’Algérie. La part de la production industrielle dans le PIB s’est effondrée et ne représente aujourd’hui qu’environ 5%. L’Algérie vit au jour le jour grâce aux hydrocarbures. Une fois finis (et c’est pour très bientôt), l’Algérie se retrouvera à un pas d’une falaise mortelle. A moins d’une prise de conscience générale et de la mise en œuvre organisée d’un effort colossal de développement, les pires moments nous attendraient.

 

Ce sujet, à lui seul, devrait occuper toutes nos énergies. Lorsqu’on voit la dangerosité de la situation pendant que certains palabrent, il y a de quoi avoir peur !

 

Un dernier mot sur ce sujet : au final, ni le FMI ni les experts ni les amis ne sont habilités à chercher le bon chemin pour l’Algérie. Soit les Algériens eux-mêmes décident d’assumer leur destin, soit c’est la volonté des autres qui s’imposera à eux. On donnerait alors la preuve que finalement, seule la génération de Novembre aura été digne de ce pays.

 

Quelles sont les leçons à tirer du référendum du 1er novembre, et comment analysez-vous la faible participation des électeurs ?

 

Le taux de participation n’est vraiment pas une surprise. Tous les scrutins depuis 20 ans ont été très largement ignorés par les électeurs. Cela se comprend aisément, les Algériens ne voulaient pas se faire rouler dans la farine de la fraude. En fait, c’est la première fois depuis trop longtemps que nous somme face à de vrais chiffres. Le pouvoir aurait pu faire comme le précédent et donner un taux de participation de 40% ou plus, comme il l’avait toujours fait. Personne ne se serait plaint. Ce qui a fait mal à une certaine opposition, c’est que les chiffres ont été déclarés tels quels. Oui, il y a un problème de désaffection politique mais le scrutin était véridique. C’est un premier pas important pour que la population reprenne confiance avec l’acte de voter.

 

Comment voyez-vous le dénouement du problème des détenus d’opinion ?

 

En attendant de mettre en place une justice indépendante et de faire bénéficier les Algériens des bienfaits de l’Etat de droit, je pense que le pouvoir politique devrait faire en sorte de dépasser les griefs formulés contre certains activistes. Cela ne doit pas être perçu comme une autorisation à faire n’importe quel dépassement. Dorénavant, à l’avenir chacun devra être sûr que la loi s’appliquera dans toute sa rigueur si les uns ou les autres venaient à s’autoriser encore des dépassements. Pour le moment, le pays a besoin de se réconcilier avec lui-même.

 

Alors y a-t-il vraiment des raisons d’être optimiste pour l’avenir du pays ?

 

C’est dans les difficultés que les peuples expriment leur génie. Oui, je reste optimiste. La situation est difficile, compliquée et même dangereuse. C’est pour cela que nous devons tous être mus par la raison, la sagesse et la lucidité.  Des atouts exceptionnels sont à notre disposition. Alors croyons en nous-mêmes et allons droit devant. Le destin peut être généreux avec les courageux.

 

Un dernier mot ?

 

Dans tous les pays du monde civilisé, les crises politiques se résolvent dans les élections. C’est en laissant le peuple choisir ses représentants et se donner des majorités qui puissent gouverner que leur pays retrouve la stabilité. La démocratie et les élections ont été inventées dans ce but. Alors, espérons que nos élites s’éloignent un peu des illusions des transitions et des désignations. Je pense qu’il faut faire confiance au peuple, réclamer de vraies élections transparentes et laisser la démocratie accomplir son rôle. Il faut sortir des usurpations et entrer dans le jeu démocratique.

Entretien réalisé par Yahia Maouchi, le 20/12/2020