Soufiane Djilali. Président de Jil Jadid : «Nous sommes la cible d’un chantage dès que nous parlons de dialogue»

Soufiane Djilali. Président de Jil Jadid : «Nous sommes la cible d’un chantage dès que nous parlons de dialogue»

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Retrouvez l’intégralité de l’interview de Soufiane Djilali avec le journaliste Abdelghani Aichoun pour le quotidien national El Watan 

 

Dans cet entretien, Soufiane Djilali, le président de Jil Jadid, estime qu’«une élection dans les plus brefs délais serait logique». «Des élections transparentes avec la participation de tous les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, redynamiseront la vie politique, transféreront les débats de la rue à l’intérieur des institutions et stabiliseront le pays», a-t-il déclaré.

 

– Vous aviez annoncé que le président de la République devrait convoquer le corps électoral avant le 31 décembre. Selon vous, est-il possible de convoquer le corps électoral alors que la nouvelle loi (électorale) n’est même pas prête ?

 

Invité par la Radio algérienne à donner ma lecture sur le contenu de son discours lors de sa dernière apparition, j’avais relevé le fait que le président de la République avait donné instruction pour que la loi électorale soit prête dans les 10 ou 15 jours.

Je ne pouvais que faire le lien avec sa volonté affichée de renouveler les institutions élues avant la fin de l’année. L’intrusion de la Covid-19 avait fini par faire décaler le calendrier initial, cependant, la convocation du corps électoral avant le 31 décembre devenait symbolique par rapport à ses engagements.

De toutes les façons, une élection dans les plus brefs délais devient logique, si l’on se réfère aux critiques, par ailleurs fondées, contre l’actuel Parlement. Les Algériens sont pressés de voir une nouvelle classe politique dans les institutions.

Des élections transparentes avec la participation de tous les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, redynamiseront la vie politique, transféreront les débats de la rue à l’intérieur des institutions et stabiliseront le pays.

Tout le monde est d’accord pour qu’il y ait de vrais changements, il faut y arriver de manière calme et sereine.

La voie révolutionnaire selon le mode «printemps arabe» serait à l’évidence suicidaire pour l’Algérie. Aucun patriote, même le plus farouche des opposants, ne voudrait pousser la situation vers le pourrissement en ces temps de menaces sécuritaires à toutes nos frontières.

Le pouvoir devrait s’ouvrir aux partis politiques et renforcer la solidarité nationale. D’ailleurs, un gouvernement politique serait bien indiqué.

 

– L’on peut aussi comprendre à travers vos récentes déclarations que le processus actuel est la solution pour la crise. Pourtant, il y a eu une grande défection lors du référendum sur la Constitution. Ne craignez-vous pas que le même scénario se produise lors des législatives ou une possibilité que la future assemblée soit toujours dominée par le duo FLN/RND ?

 

Y a-t-il un seul observateur neutre et objectif pour pouvoir soutenir l’idée que les scrutins à l’ère de Bouteflika mobilisaient plus d’électeurs ? Tout le monde sait que les Algériens ne votaient plus depuis bien longtemps.

Il y a sans aucun doute une grande défiance non seulement pour le vote mais aussi pour l’action politique. Et cette défiance est compréhensible et normale au vu de la gouvernance du pays depuis toujours !

Concernant le taux de participation à de prochaines législatives, je pense qu’il restera faible, bien que meilleur que dans le cas du référendum. La nature des enjeux étant différente, la mobilisation sera plus facile. En tout état de cause, la confiance se construit sur le temps et ne peut être décidée par décret.

Enfin, l’éventuelle domination du Parlement par le duo FLN/RND serait un très mauvais signal pour la démocratie.

Je le répète, si les élections sont libres et transparentes, il faudra respecter les résultats, et si les Algériens ne trouvent devant eux que ces partis pour les rassurer et leur offrir sécurité et stabilité, alors ils iront vers eux.

Il faudra alors s’en vouloir à soi-même en tant qu’opposition. A trop exiger des solutions impossibles, on risque de ne rien avoir.

Il faut prendre la mesure de la crise et sa profondeur pour lui apporter des remèdes. La société algérienne est en pleine évolution. Elle passe de structures traditionnelles en plein effondrement à une forme de syncrétisme impensé, mélange d’archaïsmes résiduels et de modernisme désordonné.

Un projet de société moderne doit pouvoir apporter une cohésion à la société, qui est pour le moment fragile et susceptible d’aller vers une instabilité chronique.

C’est là que l’élite devrait intervenir comme source d’inspiration au peuple et non pas se laisser porter par un populisme bruyant mais stérile.

Quant aux mécanismes de sortie de crise, il faut tout simplement agir comme tous les pays de droit et démocratiques et laisser le peuple choisir ses propres dirigeants. Essayer d’imposer une transition avec des personnes désignées ne résoudra rien, tout au contraire.

Qui serait en mesure de nommer ? Sur quels critères ? Avec quelle légitimité ? Pour quoi faire ? Pendant combien de temps ? On ne règle pas un problème de légitimité par des conclaves entre des personnes autoproclamées représentatives.

Les urnes ont été inventées pour régler ce genre de problème partout où il y a une démocratie. Ici, j’entends les défenseurs du peuple qui l’encensent et qui en même temps lui refusent le droit de choisir ses dirigeants par les élections.

Maintenant, si on me dit qu’il y a des problèmes concernant la transparence et l’honnêteté des élections en général, je répondrai que c’est sur ce point qu’il faut agir. Faisons en sorte que nos élections deviennent impeccables et inattaquables.

Conjuguons nos efforts pour faire ouvrir les grands médias, conforter la liberté de la presse, libérer les initiatives… Soyons plus pratiques et plus efficaces.

 

– Justement, ces derniers temps, il y a de plus en plus de polémiques au sujet des positions de Jil Jadid. La dernière en date étant votre critique à l’égard de la résolution du Parlement européen. Beaucoup y ont vu, de votre part, un changement de positionnement, ceci alors qu’à un certain moment vous aviez défendu l’idée d’un «jumelage» entre une présidentielle et un processus constituant…

 

Polémiques ? Vous êtes très soft. Non, ce sont des campagnes féroces sur les réseaux que nous subissons. Nous sommes la cible d’un chantage impitoyable dès que nous parlons de dialogue, de libérer des détenus, de refuser les graves immixtions dans des affaires de souveraineté nationale.

Nous avons compris que ceux qui nous attaquaient étaient contre le dialogue, contre la libération des détenus, contre le refus de l’interventionnisme étranger.

Nous connaissons parfaitement la logique de ces choix et les objectifs stratégiques qu’ils veulent atteindre.

Mais plus généralement, personne, quelle que soit sa tendance, n’est épargné par la fachosphère. Vous savez très bien que les réseaux sociaux font office pour certains d’espace de thérapie de groupe où toutes les frustrations, les difficultés vécues, les injustices subies, les pulsions incontrôlées donnent libre cours à une expression débridée et à des extrémismes idéologiques.

Ajoutez-y la logique des algorithmes qui enferment les internautes dans des bulles homogénéisées et auto stimulantes.

Petit à petit, les groupes s’enferment dans des bocaux et se transforment en petits poissons rouges qui confondent les limites de leur aquarium avec celles d’un océan.

Mais, revenons à votre question. La résolution du Parlement européen ne peut se comprendre que comme une grave ingérence dans les affaires internes de l’Algérie, ou alors il faudrait admettre une forme d’amateurisme et d’incompétence grave des membres de cette institution.

Si la résolution s’était limitée à relever les cas de dépassement des droits de l’homme et à soutenir des victimes avérées de la justice algérienne, je l’aurai, à la limite, compris.

Mais quel a été notre étonnement de voir citer pêle-mêle, dans la liste des présumés détenus d’opinion, des noms de personnes jamais emprisonnées, d’autres libérées depuis plusieurs mois et d’autres encore dont les antécédents terroristes sont notoires ?

Et quel est le rapport entre les droits de l’homme et «la reddition des comptes de l’armée» ? Et de quel droit exiger le contenu des changements constitutionnels et des lois algériennes avec maints détails ?

Sincèrement, à la lecture de cette résolution, je me suis senti humilié par les 18 constats et les 20 instructions que nous, Algériens, devrions exécuter !

Je suis sûr que la plupart des gens, de bonne foi, n’ont même pas lu le contenu de la résolution mais y ont juste vu un soutien aux «opprimés». Pourtant, l’adage nous prévient que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Par rapport à notre proposition de jumeler des législatives avec une constituante, elle reste une voie possible à l’avenir. A Jil Jadid, nous avions qualifié de «Constitution d’étape» la dernière mouture adoptée le 1er novembre.

Autrement dit, pour nous, elle est susceptible d’être améliorée. Avec un vrai Parlement, crédible et légitime, il serait, à mon sens, envisageable de faire évoluer les équilibres de pouvoir, de renforcer l’indépendance de la justice et d’encourager l’Etat de droit à travers un dialogue institutionnel. Il est impératif que la classe politique puisse maîtriser les outils de la démocratie.

Cette dernière ne se développe pas dans des formes subversives ou dans un populisme fébrile, mais dans l’échange et l’écoute, dans le débat et la tolérance.

 

– La question des détenus pose toujours problème. Près de 90 personnes sont en détention, dont beaucoup sont poursuivies pour avoir participé à une manifestation ou pour une publication sur les réseaux sociaux. Il y a également l’usage abusif de la détention provisoire. Ne pensez-vous pas que le pouvoir en place n’a pas montré jusque-là des signes d’une volonté de se réformer ?

 

Il n’y a plus de manifestation du hirak depuis mars 2020 et je ne crois pas qu’il y ait encore des arrestations pour ce motif. Par ailleurs, notre arsenal législatif est sans aucun doute inadapté à une vie démocratique épanouie.

Au lieu d’acculer les juges dans une forme de rapport de force et de désobéissance aux lois actuelles, par la stratégie de la rupture chère à certains avocats, il me semble qu’il serait plus judicieux d’agir politiquement pour faire changer la législation.

Cela n’est pas aisé, je le conçois. Il faut comprendre qu’il y ait des réticences, des conservatismes et des traditions qu’il n’est pas toujours facile à faire évoluer dans la société elle-même.

La notion de liberté d’expression n’est pas perçue par tout le monde de la même manière. Ces débats existent aussi dans les pays les plus modernes. La liberté de conscience, par exemple, ne doit pas ouvrir droit à des attaques contre la dimension sacrée de la religion.

Que chacun vive en toute sérénité sa propre croyance ou ses propres convictions sans avoir à s’attaquer aux convictions des autres. Le mépris et l’agressivité dans ce domaine sont largement partagés dans la société et alimentent sans cesse les divisions et les haines entre Algériens.

Par contre, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la détention préventive. Il y a un abus évident. Il faut réellement restreindre cette démarche et la baliser rigoureusement.

Je ne comprends pas qu’un homme comme Ali Ghediri soit encore détenu. Il n’est pas le seul dans ce cas d’ailleurs. Quant aux 90 détenus d’opinion, il y a maldonne. Nous avons demandé à plusieurs reprises à des avocats de nous expliquer ce qui leur est reproché.

A part de vagues explications, personne ne veut dire la vérité. Je comprends que les avocats protègent leurs clients, mais la presse ne va jamais au fond des affaires et se contente souvent d’articles superficiels.

Maintenant, si une personne qui a commis un délit, mais parce qu’elle aurait fait une marche du vendredi doit être qualifiée de détenue d’opinion, il me semble qu’il y a un abus de langage, pour ne pas dire de la mauvaise foi.

Dans cette affaire, la justice est aussi responsable de la désinformation. Elle n’explique rien à l’opinion publique, ne communique pas et laisse planer les doutes. Les réflexes et les mentalités forgées depuis des décennies sont, à l’évidence, très coriaces et très résilients.

Le pays a besoin d’apaisement, de renouer le dialogue, de créer un climat de confiance entre tous et d’aller résolument vers des changements profonds et à plusieurs niveaux.

Se parler, ouvrir les médias, organiser la pluralité dans le respect de tous sont incontournables si l’on désire asseoir une démocratie, un Etat de droit et une citoyenneté qu’il nous faudra conquérir.

 

– Certaines initiatives sont annoncées ces derniers temps, comme c’est le cas avec Abdelaziz Rahabi, par exemple. Qu’en pensez-vous ?

 

Je n’en suis pas informé, mais toute initiative mériterait encouragement. Tous les patriotes, conscients des risques que nous vivons, devraient s’entendre sur un minimum. Il y a des fondamentaux que nous devons impérativement respecter, car ils garantissent notre sécurité et notre stabilité.

 

 

El Watan, édition du lundi 21/12/2020