19 mars 1962, la fin de la longue nuit coloniale

19 mars 1962, la fin de la longue nuit coloniale

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Le 19 mars 1962, les accords d’Evian : Une belle et terrible apothéose ou la fin de la longue nuit coloniale. Par Abdelkader KRIBI.

L’Algérie célèbre cette année le 59ème anniversaire de la signature des accords d’Evian et de la proclamation du cessez-le feu. Une date importante de l’histoire de l’Algérie car elle marque le cri de naissance d’un état Algérien sorti du ventre d’une lutte rude et difficile pour l’indépendance.

Il faut se mettre à la place de ces Algériens qui sont nés sous l’occupation française et qui croyaient que c’était de l’ordre de l’irréel de voir ces colonisateurs (armée, colons, fonctionnaires) quitter une terre qu’ils ont mis plus d’un siècle à envahir et à complètement asservir. Pourtant, ce fut chose faite ; les français ont bel et bien quitté l’Algérie, contraints, forcés et chassés comme tout usurpateur d’une terre qui n’est pas la sienne. Il a fallu l’outrecuidance d’un groupe de personnes associé à la détermination de tout un peuple pour que ce rêve devienne réalité. « Quand à nous, résolus à poursuivre la lutte, surs de tes sentiments anti-impérialistes, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la patrie. »disait la déclaration du 1er Novembre 1954 en s’adressant au peuple Algérien.  « Il est vrai, la lutte sera longue, disaient-ils, mais l’issue certaine. »affirmaient-ils dans la même déclaration, armés de la volonté d’en découdre avec les conditions d’assujettissement dans lesquelles l’occupant français les avait condamné à demeurer depuis un certain 5 Juillet 1930 .

Malgré des tentatives ici et ailleurs de passer à la gomme ou à détourner des faits et effacer des noms de l’histoire, la mémoire collective a heureusement ce miraculeux « pouvoir » de rendre justice et de dire vrai. De ce coté- ci de la méditerranée, on s’obstine à maquiller l’histoire dans l’objectif de fabriquer des gloires sur mesure pour certains ou d’usurper les honneurs des autres, et de l’autre coté de la mer on ose toujours  parler des « bienfaits de la colonisation ».

En Algérie, on ne célèbre pas la date du 18 Octobre 1970, date de sinistre mémoire. Ce jour là, à Francfort, en Allemagne, KRIM Belkacem, chef historique du FLN a été assassiné. Il a été retrouvé dans sa chambre d’hôtel étranglé avec sa cravate. Qui l’a tué ? Et à qui profitait le crime ? Peu d’historiens algériens se sont penchés sur cet épisode noir de la politique algérienne. Pourtant KRIM Belkacem avait mené la délégation du GPRA aux négociations d’Evian et obtenu l’accord du référendum d’autodétermination du peuple Algérien, aidé entre autres par Saad DAHLAB, Tayeb BOULAHROUF, Ahmed FRANCIS, M’hamed YAZID, et Lakhdar BENTOBBAL.

Après le cessez-le feu du 19Mars 1962, la lutte pour le pouvoir devait reprendre de plus belle (dont les retombées sont ressenties jusqu’au jour d’aujourd’hui).KRIM Belkacem entrait en « guerre » contre BENBELLA et l’Etat Major de BOUMEDIENE. L’homme qui avait mené les négociations d’Evian avait été condamné (et il le savait), non pas, par le colonisateur mais par des Algériens assoiffés de pouvoir. KRIM Belkacem avait été forcé lui et sa famille à l’exil, comme d’autres ont été forcés à la « résidence surveillée »,tout comme BENKHEDDA,FERHAT ABBAS, d’autres à l’éloignement comme BOUDIAF,AIT AHMED,KHIDER, sans oublier MOUFDI ZAKARIA.

« L’Algérie a enterré son histoire en même temps que ses Chouhadas. »

« L’esprit de la révolution sera trahi par l’esprit militaire »disait Roger Martin Gard. Une phrase qui traduit parfaitement la situation vécue par l’Algérie au lendemain de l’indépendance. Les militaires prirent le pouvoir(dessus) sur le politique et arrachèrent le pouvoir par la force. A peine la fin de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie proclamée, une autre guerre voit le jour et l’esprit de la révolution s’en est trouvé dévoyé, détourné et trahi. Une lutte acharnée pour le pouvoir s’est manifestée quelques jours après le cessez-le feu. Certains diront qu’elle « couvait » déjà bien des mois avant la fin de la guerre !!! On pourrait même remonter au congrès de la Soummam en 1956 qui avait établi l’esprit et les actes de la lutte pour l’indépendance et comme objectif l’édification d’une Algérie démocratique.

Les appétits de pouvoir et autres calculs de basse manœuvre ont condamné Abane Ramdane maitre penseur du congrès de la Soummam ,à être exécuté par ses frères de combat qui nourrissaient déjà, alors que le peuple était engagé dans une guerre contre le colonialisme, des objectifs de domination et de main mise sur les destinées du FLN-ALN dans un premier temps, puis du pays une fois la libération acquise.

Les premières manifestations d’une primauté du militaire sur le politique se sont exprimées sur le terrain de la lutte. La voix des armes a souvent été plus audible que celles de l’esprit et du politique(les colonels Khatib et  le défunt Lakhdar Bouregaa  ont en souffert, tout comme le commandant Mohamed Berrouaghia. De nombreuses exactions ont été d’ailleurs commises pour satisfaire parfois d’étroites ambitions personnelles de certains dirigeants de la révolution, et parfois par pure jalousie envers des gens lettrés susceptibles de devenir une entrave à l’ascension de certains autres. Ces basses manœuvres n’étaient fort heureusement pas connues des populations qui avaient donné par leur courage et abnégation toute sa grandeur à la révolution algérienne. Une des plus belles et grandes victoires d’un peuple sur un colonisateur. Le peuple algérien était loin d’imaginer ce qui se dessinait en « haut lieu ».

L’été 1962 avait marqué du coté de la population la fin d’une dure et âpre lutte pour l’autodétermination, pour la libération du territoire algérien du cauchemar colonial et de la servitude. La fin de 7 ans et demi d’une longue guerre et de 132 ans de colonisation et de condition d’indigénat a finalement eu lieu. Ce qui paraissait comme un rêve à peine une dizaine d’années devient réalité. Las Algériens dansèrent et chantèrent dans les rues humant l’air de l’indépendance et la délivrance du joug colonial, se délectant de ce gout si doux de ne plus être des sous-citoyens ou des indigènes, mais des hommes et des femmes libres jouissant de leur souveraineté sur leur territoire chèrement arrosé de leur sang et de leur sueur.

Le 19 Mars 1962,les clairons du Cessez-le feu sonnent comme la fin de la longue nuit coloniale, mais n’annonce pas la naissance de l’état Algérien comme souhaité par la déclaration du 1er Novembre 1954 et comme édictée par le congrès de la Soummam. La naissance de cet état démocratique n’a pas été au rendez-vous. Les appétits de pouvoir ont trouvé leur terrain d’expression ! La « victoire fêtée » par le peuple a vite été confisquée par Ahmed Benbella  choisi comme Président pour donner au pouvoir naissant sa façade de légitimité (l’histoire se répète) révolutionnaire. Une légitimité qu’utilise le régime jusqu’à  un passé récent avant l’avènement du Hirak du 22 février 2019 ;

A la démocratie tant et tant espérée, le pouvoir a opposé les coups de force et la violence. A l’autodétermination du peuple, il a opposé la dictature et la loi du bâton. A la liberté, on lui a opposé la censure et la fermeture. Les militants politiques ont subi toutes les formes d’exclusion, allant de l’emprisonnement à une série d’élimination physique des opposants. La « police politique » a appliqué la sentence de la disqualification du politique et verrouillé la vie publique jusqu’à étouffer toute velléité d’expression libre.

59 ans est donc l’âge d’un régime qui a basé son règne sur une légitimité historique contestée.

De cet été 1962 qui devait tracer la voie à tous les espoirs, l’état Algérien connait une naissance « douloureuse » et garde à ce jour les stigmates du viol de l’esprit de la révolution. L’Algérie libérée du colonialisme espère aujourd’hui, libérer ses enfants du joug de la dictature et tenir la promesse de fonder un ETAT DEMOCRATIQUE où la politique s’affranchira du cadre des « casernes ». L’indépendance aura un « GOUT »d’inachevé tant que la politique n’aura pas sa primauté sur le militaire.

Cette date est pourtant peu ou rarement évoquée dans l’Algérie d’aujourd’hui, la belle VICTOIRE du peuple Algérien sur le colonisateur, cet usurpateur des identités des peuples opprimés a été dévoyée un certain été 1962. Les luttes de pouvoir ont pris le dessus sur l’idéal de démocratie et de liberté. N’étant plus l’enfant malmené à la naissance, le peuple Algérien a atteint aujourd’hui l’âge de demander des comptes sur ce qu’il est advenu des promesses du 1er Novembre 1954.

L’avenir se construit sur la connaissance et l’interrogation du passé.

Gloire à nos martyrs et vive l’Algérie Libre ,indépendante et Indivisible.

 

Abdelkader KRIBI
Un militant de la cause nationale

 

Déclaration de Benyoucef BENKHEDDA,Président du GPRA au lendemain de l’accord historique du 19 Mars 1962 :

Peuple Algérien !

Après plusieurs mois de négociations difficiles et laborieuses, un accord général vient d’être conclu à la conférence d’Evian entre la délégation Algérienne et la délégation Française. C’est là une grande victoire du peuple Algérien dont le droit à l’autodétermination vient d’être garanti.

En conséquence, au nom du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne(GPRA),mandaté par le Conseil National de la Révolution Algérienne(CNRA),je proclame le cessez-le feu sur tout le territoire Algérien à partir du Lundi 19Mars 1962 à 12 heures. J’ordonne, au nom du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne à toutes les forces combattantes de l’Armée de Libération Nationale(ALN) l’arrêt des opérations militaires et des actions armées sur l’ensemble du territoire Algérien.

Algériens, Algériennes !

Sept ans et demi bientôt se sont écoulés depuis que le peuple Algérien a pris les armes pour se libérer du joug colonial et arracher son indépendance et sa souveraineté nationale.

Gloire au peuple Algérien qui a inscrit au cours de cette période une des épopées les plus extraordinaires de son histoire !

Gloire à toutes les victimes de la guerre, aux martyrs qui sont morts pour que vive la nation Algérienne, aux blessés qui au péril de leur vie ont bravé les forces déchainées de l’impérialisme !