La révolution énergétique est-elle possible en Algérie ?

La révolution énergétique est-elle possible en Algérie ?

Temps de lecture : 9 minutes

 

Par Ahmed OUARED
Membre du Conseil National Jil Jadid
Chargé de Commission au sein du Conseil Scientifique

 

 

Après l’indépendance, l’Algérie avait lancé des programmes très ambitieux par la construction des dizaines de milliers de logements collectifs afin de juguler la crise de logement devenue endémique pour répondre à une forte demande qui est la conséquence directe d’une galopante croissance démographique.

Les pouvoirs publics qui se sont succédé ont tous eu recours à une standardisation des constructions à l’échelle national en négligeant non seulement l’aspect qualitatif, mais également le confort thermique, faisant de ces bâtiments collectifs de vraies passoires thermiques, qui ne tenaient pas compte de la typologie des régions.  Si en termes de rigidité et résistances aux séismes, les concepteurs ont répondu largement aux normes en vigueur, il n’en demeure pas moins qu’ils ont ignoré intégralement l’enveloppe thermique, indispensable pour une occupation décente de ces grandes tours froides et impersonnelles au point d’être qualifiées de cités ‘’ dortoir’’.

Répondre à la crise du logement c’est en soi une bonne décision mais pas par des constructions dénuées de toute vision urbanistique, il ne s’agit pas de caser des personnes dans des cages comme des LEGOS, mais d’offrir une habitation, un toit, qui permet   à l’occupant d’exister à travers un espace viable, fiable et convenable.

Nous savons que le secteur du bâtiment est parmi les secteurs économiques, le plus gros consommateur en énergie au niveau mondial, il est une cible de choix dans la réduction des consommations au regard de la forte demande de logement qui résulte d’une grande augmentation démographique ce qui a contraint un grand nombre de pays d’abandonner les vieux concepts du tissu urbanistique.

Le réchauffement climatique, l’augmentation des gaz à effet de serre et l’épuisement des ressources naturelles sont autant d’enjeux qui engagent l’humanité à se sensibiliser, à se responsabiliser et se mobiliser. Un tel engagement consiste inévitablement à réduire la consommation énergétique d’une part et exploiter d’autre part les énergies primaires renouvelables plus économiques que les énergies fossiles.

Ce constat doit conduire les pouvoirs publics à prendre des résolutions drastiques afin de mettre fin au gaspillage énergétique et aller vers l’efficacité et la sobriété énergétique en mettant en place un plan global de rénovation thermique de tous les bâtiments tertiaires et résidentiels énergivores qui sont la cause de grandes déperditions thermiques.

FAIRE DE LA RENOVATION ENRGETIQUE UNE PRIORITE NATIONALE

  • En identifiant tous les bâtiments résidentiels et tertiaires
  • En associant l’ensemble des parties prenantes dans un projet d’envergure nationale et pilotée en l’occurrence par l’APRUE (Agence pour la promotion et la rationalisation de l’énergie)
  • Massifier la rénovation des logements en industrialisant les actions les plus efficaces et en donnant la priorité à la précarité énergétique.
  • Accélérer la rénovation des bâtiments tertiaires, en particulier dans le parc public tels que les hôpitaux, les écoles, les collèges et lycées et les bâtiments des collectivités locales fréquentées au quotidien par le citoyen algérien.
  • Au travers de la mobilisation de nouveaux financements
  • Accompagner l’évolution des compétences de la filière du bâtiment et le développement de l’innovation pour l’essor de solutions industrielles fiables et compétitives.

Au regard des conjonctures climatiques, économiques, géopolitiques et sociales. Il est incontestable que l’Algérie accuse un retard abyssal dans le domaine de la transition énergétique, elle souffre d’un défaut de lisibilité et de vision de la part des responsables en charge du secteur.

Cette absence totale de visibilité nuit grandement aux finances publiques à l’heure de faire des économies et lutter contre le changement climatique deviennent des exigences absolues.

       QUE PRECONISONS- NOUS A JIL JADID :

  1. Elaborer un audit énergétique national (recenser l’ancien bâti, les passoires thermiques)
  2. Définir des objectifs précis, ambitieux et réalistes à coût maitrisé.
  3. Développer une communication adaptée aux préoccupations du citoyen.
  4. Organiser des dispositifs territoriaux d’accompagnement simples et lisibles.
  5. Mettre en place un pilotage resserré et participatif qui permet de rendre compte de l’atteinte des objectifs.
  6. Réduire la consommation énergétique finale* de 20% d’ici 2030 et de 50% d’ici à 2050 tous secteurs confondus et la consommation primaire d’énergie fossile** de 30% en 2050.
  7. Rénover 500 000 logements /an dont 50% occupés par des ménages aux revenus les plus modestes en vue de réduire de 20% la précarité énergétique et toutes les passoires thermiques du parc privé d’ici 2030.

Nous sommes conscients de l’ampleur des défis à relever qui peuvent paraitre ambitieux, mais ils ne doivent nullement nous décourager à hiérarchiser les objectifs et de définir une vraie politique de rénovation et de sobriété énergétique en Algérie.

QU’ENTENDONS- NOUS PAR UNE VRAIE POLITIQUE DE RENOVATION ET D’EFFICACITE ENERGETIQUE.

Elle s’articule sur quatre axes fondamentaux : social, économique, éducatif et technique.

Social : lutter contre la grande précarité énergétique avec un soutien financier franc et massif envers les ménages   les plus modestes. On dénombre selon des chiffres non vérifiés, (aucune statistique) approximativement 7 à 8 millions de passoires thermiques principalement situées dans ce qu’on appelle les zones d’ombres occupés par 3 à 4 millions des ménages les plus modestes.

Economique : économiser de l’énergie n’est pas systématiquement synonyme de travaux coûteux, les premiers 10 à 15% d’économies d’énergies proviennent du comportement de l’habitant. Il s’agit donc d’encourager les écogestes et responsables, à l’instar de l’obligation de mettre en place de campagnes d’information et de sensibilisation auprès de la population et des publics scolaires.

Educatif : l’école qui prépare les futures générations doit impérativement jouer un rôle primordial en développant un programme éducatif sur les économies d’énergies.

Une vraie politique de rénovation et d’efficacité énergétique ne doit être ni galvaudée ni approximative, elle demande de la précision, de la technicité et du professionnalisme. C’est pourquoi le conseil scientifique de JIL JADID en tant que parti politique responsable exhorte les pouvoirs publics :

  • D’étudier, de préparer et de soumettre au législatif une réglementation thermique, indispensable pour évaluer, calculer les déperditions thermiques selon la typologie de chaque région du territoire.
  • De créer une certification nationale afin d’identifier les professionnels qualifiés qui donne l’exclusivité d’intervenir chez les particuliers dans le secteur de la rénovation de l’habitat.
  • D’accompagner les professionnels et les usagers par une protection juridique via une garantie décennale en cas de litiges.
  • D’exiger à l’ensemble des locataires et des propriétaires de souscrire à une assurance d’habitation dans le seul souci de protéger les biens et les personnes contre les accidents domestiques.
  • De concevoir un diagnostic de performance énergétique classifiant tous les locaux à usage d’habitation ou commerciaux qui doit- être indispensable, voire obligatoire pour toute transaction immobilière.
  • D’intégrer dans les programmes des centres professionnels la filière rénovation de l’habitat en formant de futurs techniciens dans l’isolation thermique, les énergies renouvelables.
  • De traquer toutes les installations électriques sauvages et le gaspillage énergétique.
  • De mettre en place un arsenal juridique qui encadre l’ensemble de la filière des énergies renouvelables.
  • De numériser l’administration fiscale et cadastrale.

LA RENOVATION ENERGETIQUE ET SES ENJEUX

L’activité humaine a eu des impacts négatifs et multiples sur la planète qui ont été la cause de bouleversements climatiques irréversibles modifiant les caractères physiques, chimiques et biologiques de la terre et principalement les gaz à effet de serre.

Paradoxalement ces changements climatiques ont contraint l’homme à réfléchir sur les moyens à adopter pour atténuer les GES et leur impact sur l’environnement. Face à un constat alarmant, la communauté internationale s’est réunie à KYOTO en 1997 pour sortir avec la signature d’un protocole faisant de la lutte contre les bouleversements climatiques la priorité du siècle engageant plusieurs pays à réduire de 50% des GES à l’horizon 2050.

Cet important objectif ne sera atteignable que si nous parvenons à repenser les activités humaines et notre consommation des énergies fossiles.

En Algérie, considérant que la plupart des logements individuels ou collectifs sont de lourds consommateurs d’énergie, dépourvus de toute isolation thermique, il devient urgent et nécessaire de procéder à des travaux de rénovation complète afin d’offrir des conditions de vie décentes, réduire la consommation énergétique et mettre fin à l’insupportable gaspillage de notre énergie qui dure depuis des décennies.

Doit-on rappeler que l’état subventionne l’électricité et le gaz à coups de milliards de dollars US que le citoyen paye mais ne consomme pas sachant qu’il vit dans des passoires thermiques ?

De grâce arrêtons cette gabegie !

Mais la réalisation de ces travaux nécessite et demande une maitrise technique :

Les principales solutions techniques de la rénovation thermique énergétique comprennent l’amélioration de l’enveloppe du bâtiment c’est-à-dire l’éclairage, le chauffage, le rafraichissement, la ventilation, l’eau chaude et idéalement l’énergie solaire celle-ci joue un rôle de filtre thermique qui aide à créer un microclimat à l’intérieur d’un bâtiment indépendamment des fluctuations météorologiques, sauf que la réalisation de ces travaux nécessite une maitrise technique.

Tels que les modes de transfert de chaleur et le calcul des coefficients de déperdition thermique, il faut savoir que plus un local est mal isolé plus le coefficient de déperdition est élevé qui ne peut être mesurer qu’avec une caméra thermique.

Bâtiments mal isolés mesurés avec une caméra thermique (bleu=froid)

Transfert de chaleur

La chaleur a toujours tendance, en hiver à se déplacer des espaces de vie chauffés vers l’extérieur et vers des espaces non chauffés tels que les combles, les greniers, les garages ou les sous-sols (tout espace dont la température est plus basse) et le contraire en été.

Pour maintenir un certain niveau de confort, la perte de chaleur en hiver doit-être compensée par un système de chauffage tandis qu’en été la chaleur accumulée en été doit-être évacuée par un système de rafraîchissement donc si un local à usage d’habitation est mal isolé il sera soumis à de fortes déperditions thermiques d’où l’obligation d’isoler les murs, les toits et les ouvertures (portes, fenêtres)

  • Isolation des murs ; polystyrène expansé
  • Isolation des fenêtres : double ou triple vitrage
  • Toits : laine de roche, ouate de cellulose

PRINCIPAUX ISOLANTS THERMIQUES

Polystyrène expansé

Double vitrage

Laine de roche

 

 

 

 

 

QUELS SONT LES ENJEUX D’UN VASTE PLAN DE RENOVATION ENERGETIQUE ?

La rénovation énergétique répond à trois principaux enjeux : climatique, économique et social

Les enjeux environnementaux sont étroitement liés au développement durable, nous devons apporter des réponses aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Notre responsabilité est entière puisque les préjudices sont provoqués à tous les stades de la transformation de l’énergie que nous produisons et consommons. Nous polluons l’air que nous respirons, nous assistons désespérés aux catastrophes climatiques qui se sont accélérées ces dix dernières années. Nous n’éprouvons aucun regret à déraciner des arbres pour construire à la place des logements et autres locaux à usage commercial sans mesurer les conséquences sur la santé de nos enfants, ces actes barbares et irréversibles doivent impérativement cesser. Il est temps de privilégier les espaces verts au bétonnage sauvage.

Les enjeux économiques :

Dans la perspective d’engager un programme d’amélioration des performances thermiques du parc immobilier existant, une réduction dans la production et la consommation de l’énergie primaire et finale, se traduira par la réduction des coûts, par le changement des habitudes et des gestes, nous devons apprendre  à utiliser différemment les émetteurs de chauffage, d’utiliser d’une façon rationnelle les appareils de rafraichissement (pompe à chaleur AIR/ AIR )  ou climatiseurs , de généraliser les chaufferies centrales , de supprimer le simple vitrage et d’isoler les toitures  et de revoir  à la baisse les subventions dont bénéficient  tous les usagers qu’ils soient aisés ou pas.

Bien entendu que les aides financières doivent être maintenues et ciblées, mais doivent profiter essentiellement aux plus démunis.

Voltaire disait ‘’ le malheur des uns fait le bonheur des autres ‘’. L’Algérie connait une embellie financière à la suite de la crise russo-ukrainienne qui lui génère des dividendes substantiels et assez conséquents par la vente de son gaz et son pétrole puisqu’elle devient un pays très sollicité, mais cette embellie ne sera évidemment pas éternelle, donc il faut saisir cette opportunité et cette aubaine d’assainir la situation sociale et économique, car elle dispose assez de moyens pour y parvenir.

Les enjeux sociaux :

L’environnement intérieur et extérieur constitue des supports déterminants sur la santé, le bien-être et les relations sociales entre citoyens. Il conditionne énormément sur les capacités et les opportunités sociales dont ils peuvent jouir. Il serait donc inéquitable que les pouvoirs publics fassent l’impasse sur l’environnement dans lequel vivent les citoyens (travail, résidence, loisirs) l’environnement détermine aussi le devenir social, sur la santé mentale et physique de nos enfants qui y grandissent.

Les enjeux climatiques

A l’instar d’autres pays qui souffrent des bouleversements climatiques, l’Algérie n’échappe pas à ces désastres naturels que sont les inondations, les tempêtes et les incendies causant de grandes pertes humaines et matérielles, d’ailleurs les dernières inondations survenues ces jours-ci à KSAR ECHELLALA sont le parfait exemple qui a malheureusement endeuillé plusieurs familles à qui j’adresse en mon nom et au nom du conseil scientifique de JIL JADID nos sincères condoléances.

Ces catastrophes naturelles seront encore plus violentes et répétitives dans les années à venir et si les pouvoirs publics ne mesurent pas les dangers, les conséquences seront plus graves et coûteront plus chers au contribuable et au trésor public alors il est urgent de prévoir et d’avoir des visions à court, moyen et long terme pour anticiper ces évènements.

L’EFFICACITE ou L’EFFICIENCE ENERGETIQUE

Si l’Algérie est un grand pays producteur de pétrole et de gaz, ceci ne doit pas freiner les pouvoirs publics à gérer cette manne avec parcimonie et une gestion réfléchie compte tenu de la courbe ascendante de la consommation énergétique ces 10 dernières années comme nous le montre le tableau ci-dessous.

Notre pays dispose d’un potentiel solaire important pour faire de l’énergie photovoltaïque l’une de ses principales ressources en dehors des énergies fossiles qui se tarissent, elles ne sont pas inépuisables contrairement aux énergies renouvelables.  Favoriser un mix énergétique serait l’une des solutions les plus économiques qui soit.

Si l’efficacité énergétique consiste à optimiser nos consommations avec une utilisation rationnelle, ce rapport sera atteignable seulement avec une politique courageuse, volontariste et un engagement sans faille pour viser les objectifs de la sobriété énergétique.

Saurons-nous exploiter le potentiel et les richesses de l’Algérie intelligemment et à bon escient sans compromettre l’héritage des futures générations ?

*énergie primaire : ensemble des produits énergétiques non transformé (gaz et pétrole)
** énergie finale :  exemple : gaz transformé en électricité consommé par l’usager