Demain se prépare aujourd’hui ..

Demain se prépare aujourd’hui ..

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Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres nous l’empruntons à nos enfants! Telle a été le sentiment de Saint Exupery qui semblait, déjà en son temps, se soucier du poids des responsabilités qui pesait sur les épaules des générations d’hommes. Dans un monde en perpétuel changement et où tout va trop vite, rien ne vaut une approche prospective pour comprendre le futur et mieux l’appréhender. Partant du principe qu’il est de notre responsabilité de ne pas laisser des dettes à nos enfants et que toute politique sans vision est vouée à l’échec, à la commission de prospective du conseil scientifique de Jil Jadid, nous nous sommes fixés comme objectif de scruter les horizons dans leurs dimensions espace large et temps long afin de mieux comprendre jusqu’où devraient nous mener les mutations profondes et aider ainsi les acteurs algériens influents à anticiper l’avenir et se mettre en capacité de faire les bons diagnostics tout en prenant les meilleures décisions possibles. Le devoir d’anticiper sur les compétences du futur, foncièrement générées par la disruption qu’impose la quatrième révolution industrielle en cours, permet de conditionner les choix stratégiques de l’état et préfigurer les moyens à mobiliser pour favoriser une complète intégration de l’Algérie dans le nouvel environnement des technologies du numérique, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), de la double transition écologique et énergétique etc.

Les prouesses technologiques et leur impact sur les économies et les sociétés ne sont guère un phénomène nouveau. A l’aube de l’histoire, soit à l’âge de bronze, elles sont déjà parvenues à créer une spécialisation sociale et donner une première dimension transnationale aux échanges commerciaux. Depuis cette révolution pionnière, le commerce mondial n’a cessé de se développer au grès des innovations techniques. Les conflits et les guerres qui ont par la suite émaillé les relations entre les nations, l’ont été pour des raisons de volonté manifestée par les plus puissantes d’entre elles dans le but de faire main basse sur les richesses à travers l’absolue nécessité d’accéder aux ressources, de contrôler les routes de transport des marchandises ainsi que leurs points de chutes où s’effectuaient les trocs et les transactions. Depuis la nuit des temps, les mêmes causes produisent à chaque fois les mêmes effets ! Mais, de nos jours, tout a changé pour nous qui vivons désormais dans une ère digitalisée où les frontières de l’espace et du temps sont abolies. Les événements auxquels nous sommes confrontés en ce premier quart du 21eme siècle, sont totalement inédits et n’ont aucun équivalent historique. Trois phénomènes marquent une rupture avec les expériences du passé : l’Anthropocène où l’homme s’annonce comme la principale force du changement sur terre. Le chef de l’ONU Antonio Guterres vient tout récemment de déclarer que l’humanité est devenue « une arme de destruction massive pour la biosphère ». Il y a ensuite les innovations technologiques et les effets de mode qui viennent bouleverser nos modes de vie en provoquant des ruptures cycliques de plus en plus rapprochées. Et puis enfin, l’explosion démographique mondiale qui pose d’énormes préoccupations au sujet de la gestion complexe des soucis multiformes de pas moins de huit milliards d’humains ! Comment nourrir toutes ces bouches et trouver des emplois à ceux qui atteignent la force de l’âge de travailler? Comment répondre à la hausse de la demande globale ? Comment gérer le phénomène de vieillissement et son impact sur les sociétés et les économies quand on sera amenés à faire face à la diminution de la part de la population en âge de travailler ? Comment faire face au changement de comportement des tranches d’âges où les jeunes adultes vont dépenser de moins en moins et les plus vieux tenter de liquider leur épargne ? Comment assumer le débat pour redéfinir l’âge limite de la retraite conséquemment à l’avènement de la révolution 4.0 devant permettre de vivre plus longtemps?

Le tableau s’assombrit d’avantage quand on relève le fait que l’humanité n’a aucune emprise sur le réchauffement de la planète et ses conséquences sur le dérèglement climatique, la sècheresse, la rareté de l’eau, le déplacement de flux humains etc. Maintenant si l’on rajoute les crises financières qui n’en finissent pas, les pandémies qui se multiplient, la rigueur et la dureté des conditions qu’imposent la Banque mondial et le FMI aux pays en développement, l’agressivité des va-t-en-guerre américains, on s’aperçoit qu’au milieu des multiples acteurs internationaux, l’Algérie est appelée avec insistance à revoir sa conception générale de ce que devrait être sa sécurité et la défense de ses intérêts suprêmes et elle doit vite changer. Oui, car nous demeurons encore fragiles nous qui vivons dans un paradoxe : nous sommes riches en ressources mais pauvres en revenus! Nous ne savons pas faire de la transformation pour valoriser nos matières premières or, face à l’impact systémique du nouveau monde hyper connecté, il s’agit pour nous de prendre les bouleversements technologiques comme une invitation à reconsidérer nos modèles de développement économique et social. Au-delà de de l’incontournable nécessité d’adapter nos systèmes d’éducation et de formation aux nouvelles tendances de l’économie mondiale, l’acte de cibler en priorité l’économie d’échelle générée par les puissants leviers du numérique, des NTIC et de l’internet, constitue à nos yeux le meilleur cap stratégique pour espérer gagner intelligemment du temps et se frayer une place parmi les nations à économies dynamiques à l’image des BRICS. Le lancement par l’Algérie de lycées d’excellence en mathématique et en intelligence artificielle, mérite nos encouragements. C’est une idée qui a pris naissance, un peu plus tôt, dans nos travaux de réflexion au conseil scientifique de Jil Jadid, un à deux ans avant son institution officielle par l’état algérien. Que l’état soit en symbiose avec nous sur des détails qui touchent à l’avenir stratégique de la nation, cela est très réjouissant en soi, mais nous voulons plus, car nous continuons à croire que c’est d’un écosystème numérique global ce dont a besoin le pays. Encourager les entreprises, les universités, les laboratoires, les startups…, à s’investir dans les métiers à forte plus-value, doit forcément découler d’une volonté de l’état. Ne disposant pas de moyens suffisants à leur début, tous ces acteurs clés sont naturellement tentés d’émarger aux bons de commandes de l’état dans un premier temps. Le puissant exemple du domaine structurant de la ville de demain peut, également, aider à accélérer le processus de transformation de l’économie nationale, car, derrière l’idée de la smart-ville on retrouve l’opportunité de lancer tous les métiers de la digital-city adossés aux science et technique des énergies renouvelables, l’environnement, la mobilité, les aménagements urbaines, le paysage, la gestion des déchets, la sécurité, l’éclairage, la consommation de l’eau…, et là, précisément, ce sont les startups et les entreprises algériennes qui devraient en toute logique intervenir et entrer en jeu, ce qui facilitera leur essor et permettra au pays d’avoir un embryon d’entreprises déjà bien intégrées aux techniques nouvelles. En clair, favoriser les entreprises algériennes et investir sur l’homme passe par une orientation ciblée des investissements dans l’éducation et l’économie de la connaissance. Un autre bond qualitatif comme celui de créer les conditions nécessaires à l’éclosion de futures licornes algériennes doit faire figure d’ambition suprême de la politique de transformation du modèle économique national si on a envie de rattraper vraiment le temps. Quand on arrive à avoir un fleuron comme Samsung on a plus besoin de s’inquiéter sur l’état du marché des hydrocarbures. Les licornes, c’est à peu près ça ! Cela devrait permettre à toute la nation de mieux comprendre l’immense intérêt de faire cap sur l’économie d’échelle générée par la quatrième révolution industrielle.

Vous observez bien, à travers cet exposé, que nous nous sommes contentés de focaliser sur l’urgence de s’orienter vers le prochain gisement de valeur car le temps presse et l’ère du big data et de l’interconnexion globale ne nous autorise pas de rester à la traine. Nous n’avons pas abordé les autres sujets contraignants des tensions économique et géopolitique, comme nous n’avons pas traité les dossiers cruciaux relatifs au ballotage des centres de décisions majeures entre les état-nations classiques et la nouvelle aristocratie financière mondiale. Idem concernant la mondialisation qui affaiblit le rôle des états, les multinationales qui mettent en concurrence les territoires dans le cadre de la division internationale du travail, de la division internationale des processus productif et des investissements directs étrangers. Il y a aussi le rôle de leadership que doit avoir l’Algérie dans sa région continentale délimitée par l’espace vital de ses frontières partagées avec les pays sahélo-sahariens et le Maghreb. Un rôle que nous estimons non encore assumé puisque la volonté politique partagée avec les pays frontaliers pour travailler sur le projet d’intégration économique en faveur de tout le sous-continent nord-africain fait défaut pour le moment. Manifestement, nous montrons bien dans notre approche que le monde dans lequel nous vivons change très rapidement et qu’il ne s’agit nullement d’un fleuve tranquille. L’Algérie doit repenser de fond en comble son regard vers le futur et c’est une motivation que nous devons tous partager ensemble.

 

 

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Djamel BOULMAALI

Président de la commission de la prospective du Conseil Scientifique de Jil Jadid