«Le Sahara Occidental est la garantie de survie du régime marocain»

«Le Sahara Occidental est la garantie de survie du régime marocain»

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Dans le vif de l’actualité politique et des événements géostratégiques de la région, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, revient dans cet entretien sur le conflit algéro-marocain, notamment sur la descente aux enfers du Makhzen, hautement véhiculé par les récents scandales.

Entretien réalisé par Ali Amzal

L’Expression: Comment qualifieriez-vous, la cyberguerre que mène le Makhzen contre l’Algérie depuis des années?
Soufiane Djilali: Pour le moment, et de façon visible, le Maroc agit avec les instruments dont il dispose, avec le moins de risques possibles pour lui. C’est une bataille pour son opinion, qu’il veut gagner en utilisant les réseaux sociaux, mais aussi tous les lobbies anti- algériens ou même le mercenariat, avec, malheureusement, certains de nos propres compatriotes. L’alliance avec Israël révèle la détermination de notre voisin à jouer toutes les cartes possibles pour mettre l’Algérie sous pression. Il y a, par ailleurs, une grande propagande anti-algérienne. C’est une démarche réfléchie et programmée, fondée sur la stratégie d’insinuer dans l’opinion publique l’idée que l’Algérie n’a aucune existence historique, qu’elle n’est que la création de l’ancien colonisateur. Beaucoup de gens ont ri sur les revendications marocaines, fantasmagoriques, concernant le «zelidj», la «fantasia équestre» et tant d’autres faits de culture proprement algériens. En réalité, cela manifeste un esprit très insidieux, remettant à chaque fois en cause l’identité algérienne pour offrir aux Marocains une image de supériorité et de fierté nationales. Ne parlons même pas des tentatives de provoquer la division du peuple en promouvant l’idée sécessionniste à travers un mouvement antinational. Certains universitaires marocains ont même admis publiquement qu’il était légitime pour le Palais royal de chercher à créer une guerre civile en Algérie! C’est dire leur détermination!

Quelles sont pour vous, les motivations qui sont derrière un tel acharnement, au moment où l’Algérie présente de réelles dispositions à se relever?
Pour comprendre les motivations du Maroc, il faut se mettre à la place du Makhzen. Fondamentalement, l’État marocain est encore très largement féodal. La société est très inégale et stratifiée avec une minorité dominante et des populations pratiquement abandonnées à leur sort. Pour maintenir le Makhzen en place, les «spins doctors» ont décidé, d’une part de créer un sentiment de grandeur à travers une narration d’un passé mythique, glorieux, en envahissant le Sahara occidental et d’autre part, en mobilisant le peuple autour du trône face à un ennemi diabolisé et dévalorisé qui les empêcherait de retrouver leur brillant passé. Comme l’Algérie est objectivement le seul pays voisin, la psychologie marocaine est totalement orientée et focalisée sur nous. Si nous comprenons cela, il devient évident que le Sahara occidental est la garantie de survie du régime marocain et de ce fait, le conflit avec l’Algérie, quelle que soit sa nature, est inévitable. L’alliance avec Israël, mais aussi l’acceptation d’une forme de vassalisation par rapport à l’axe occidentalo-sioniste est le tribut à payer. Le conflit du Sahara occidental et la crise algéro-marocaine deviennent un morceau du puzzle géopolitique mondial. Cela est devenu évident avec le troc des reconnaissances avec l’ex-président américain D. Trump: Sahara occidental par les USA contre Israël par le Maroc. Ainsi, le Maroc accepte d’être le sous-fifre et le protégé de «l’armée la plus morale du monde» et d’abandonner la cause palestinienne!

Que pensez-vous de la mobilisation intérieure qui s’est exprimée autour de cette affaire?
Les Algériens ont été piqués au vif par les propos agressifs des Marocains contre leur pays. Pourtant, nous ne mesurons pas vraiment la dimension des enjeux en cours. Il faut dire que beaucoup d’activistes veulent présenter les tensions entre les deux pays voisins comme un mouvement d’humeur et que l’Algérie devrait mettre du sien pour construire une relation khawa-khawa. Inutile de vous dire que cela relève soit de la naïveté, soit de la trahison. Je suis profondément choqué quand je vois certains de nos activistes en état d’agitation permanente prendre la défense du régime marocain contre leur propre pays alors qu’ils se proclament des «Ahrar» et des défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme. Il y a, à l’évidence, une confusion entre s’opposer à un gouvernement et s’attaquer à son État. Je comprends la frustration d’une certaine opposition dont une part des revendications peut être partagée, mais je ne peux accepter le mercenariat et la trahison au surplus, au nom d’intérêts personnels. L’Histoire dira, dans tous les cas, qui regardait «la fumée des volcans» et encensait le Makhzen quand celui-ci avait vendu la cause palestinienne et s’attaquait à l’Algérie et qui, au-delà de leurs propres intérêts, agissaient pour l’intérêt de l’Algérie et des Algériens.

Que révèlent à votre avis les scandales de l’affaire Pegasus, et récemment, le MarocGate, et quel impact peuvent-ils avoir sur les évolutions géostratégiques dans la région?
Vous savez, le pouvoir marocain joue sa survie. Beaucoup d’intérêts extra marocains lui sont liés et ne veulent pas d’une République ou du moins d’une monarchie patriote et souveraine au Maroc. De ce fait, le Maroc actionne beaucoup de réseaux politiques et de lobbies internationaux et se trouve totalement englué dans des affaires scabreuses d’espionnage, de chantage et de corruption. Il est inutile de revenir sur les derniers évènements de corruption de parlementaires européens sinon pour rappeler à ceux qui n’ont eu de cesse de faire appel «aux élus du peuple européens» pour condamner l’Algérie, qu’ils ne sont, dans ce jeu, que des instruments pour favoriser un agenda contre leur pays. Ceux qui n’arrêtent pas d’appeler à l’ingérence pensant que ces pays et ces organismes vont imposer «la démocratie» en Algérie devraient faire leur mea culpa.

Quel regard portez-vous sur la position de l’Algérie dans cette configuration politique complexe?
Le monde d’aujourd’hui est dans une phase particulièrement sensible. Il y a des changements géostratégiques en cours qui remettent en cause «l’ordre international fondé sur des règles». Aucun acteur n’est là pour jouer dans l’intérêt d’un autre. L’Algérie doit agir en fonction de ses propres intérêts et ceux-ci lui dictent d’être au mieux avec tous ceux qui respectent sa souveraineté et son désir de développement pacifique. Il faut agir de manière pragmatique et non pas passionnelle. Nous avons actuellement une très grande opportunité pour développer nos relations économiques avec l’Occident en général et l’Europe en particulier, ainsi qu’avec les BRICS. Notre position géographique, notre volonté de participer à la construction de l’ordre mondial à venir trouvent aujourd’hui une opportunité que n’avait pas feu Houari Boumediene qui avait lancé de la tribune des Nations unies, la volonté de l’Algérie de participer à la construction d’un Nouvel Ordre Mondial, qui soit plus équilibré, plus juste et plus sûr pour toute l’humanité. Je pense que l’Algérie a réuni les prérequis internationaux pour avoir cette ambition. Il nous reste par contre, à construire notre politique interne, notre économie et notre unité pour traduire dans le réel cette volonté.