Accord Algérie-UE : qui a besoin de qui ?

Temps de lecture : 6 minutes

 

Le 22 avril 2002, à peine trois ans après son arrivée au pouvoir, le président algérien Abdelaziz Bouteflika, et le Premier ministre espagnol, José Aznar, représentant l’Union Européenne, ont signé à Valence l’accord d’association liant les deux parties et qui devrait mener à une libéralisation progressive des échanges industriels et à un accès amélioré pour les produits agricoles. Cet accord intervient après plusieurs mois de négociations difficiles avec le partenaire européen, et d’ailleurs qui ont été interrompues en 1997, mais l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika semble souffler un vent nouveau dans les relations bilatérales.

Tout semble bien aligné. D’une part l’Europe a besoin de partenaires stables et fiable pour fournir du gaz, et l’Algérie sort d’une décennie noire et cherche sa place sur l’échiquier international. L’accord est présenté par la presse algérienne comme une victoire personnelle du président algérien, bien que cet accord soit beaucoup plus politique qu’économique.

 

1.    Que prévoit cet accord ?

Un accord d’association est un traité entre l’Union Européenne et un pays tiers, couvrant plusieurs domaines comme l’économie, le commerce, la politique, la sécurité, ou encore la culture. En 2002, l’Union Européenne avait déjà des accords d’association avec trois pays d’Afrique du Nord : d’abord la Tunisie signé dès 1995, suivi par le Maroc en 1996 et enfin l’Egypte en 2001.

L’accord d’association signé avec l’Algérie en 2002, devait entrer en vigueur en septembre 2005. Mais à peine dix ans après, l’Algérie a officiellement exprimé la volonté de réévaluer cet accord, ce qui a permis l’adoption en 2017 d’un document portant sur les mesures à mettre en œuvre pour rééquilibrer cet accord, et couvrant les thèmes prioritaires suivants[i] :

  • Dialogue politique, gouvernance, état de droit et promotion des droits fondamentaux.
  • Développement socio-économique, échanges commerciaux et accès au marché commun européen.
  • Partenariat énergie, environnement et développement durable.
  • Dialogue stratégique et de sécurité.
  • Dimension humaine, migration et mobilité.

Sur le plan économique et commercial, l’accord donne la priorité à la diversification économique à travers des programmes financés par l’UE, et prévoit de consolider la place de l’Europe comme premier partenaire économique de l’Algérie.

Concrètement, cela se traduit par trois volets essentiels[ii]:

1.1. La libéralisation des produits industriels

Selon le calendrier indicatif suivant :

  • 1ère étape : démantèlement immédiat de 2076 lignes tarifaires des matières premières, matières brutes et matières non produites localement.
  • 2ème étape : démantèlement de 1100 lignes tarifaires incluant des biens d’équipements agricoles et industriels, des produits pharmaceutiques, des équipements mécaniques et électriques, …
  • 3ème étape, qui s’étale sur dix années, doit finaliser le démantèlement du reste des produits inscrits au tarif douaniers, soit 1964 lignes.

1.2. La libération des produits agricoles

Allant des produits agricoles, les produits agricoles transformés et les produits de la pêche. Cela doit se faire également selon un calendrier progressif.

1.3. La mise en place du programme MEDA

qui correspond à des mesures de coopération destinées à procéder à des réformes structurelles économiques et sociales, mais également à compenser les pertes éventuelles suite au démantèlement des barrières douanières. Les autres pays bénéficiaires de ces programmes (MEDA 1 et MEDA 2) sont : Chypre, l’Égypte, l’état occupant d’Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, la Palestine, la Tunisie et la Turquie. Le programme-cadre MEDA II (2000-2006) en faveur de l’Algérie comprenait 16 projets avec un financement européen global de 323,3 millions d’euros[iii].

 

2.    Quelles sont les raisons de la discorde ?

Les accords d’associations ont pour objectif d’intensifier les échanges commerciaux entre l’Union Européenne et les pays signataires. D’un point de vue européen, cet objectif a été largement atteint avec les pays d’Afrique du Nord. Malgré un contexte international difficile (crise financière de 2008-2009, Printemps arabes, crise de la zone euro…), les échanges de biens entre l’UE-27 et l’Afrique du Nord ont globalement accéléré après l’entrée en vigueur des accords d’association (entre 1998 et 2005), à l’exception notable des échanges avec … l’Algérie[iv]. Le graphique suivant montre l’évolution de ces échanges (volume des importations + volume des exportations) depuis la signature des accords pour chaque pays. Les échanges avec tous les pays sont en progression sauf avec l’Algérie.

Globalement, et d’un point vue européen, les accords ont conduit à un accroissement de l’excédent commercial de l’Union Européenne vis-à-vis des pays d’Afrique du Nord. D’un point de vue africain-du-nord, le principal avantage est le développement de filières industrielles notamment automobile et aéronautiques[v] : alors qu’il représentait moins de 1% des exportations marocaines et tunisiennes vers l’UE-27 au début des années 2000, le secteur automobile en 2021 concentrait 17% des exportations du Maroc et 4% des exportations de la Tunisie. Les exportations aéronautiques représentaient en 2021 3% des exportations marocaines et tunisiennes vers l’UE, alors que leur part était négligeable au début du siècle.

Le tableau suivant donne les parts d’exportations en 2021 des quatre pays Nord Africains.

Part d’exportation en 2021 Maroc Tunisie Egypte Algérie
Automobile 17% 4%
Agriculture et agroalimentaire 20% 6% 4% <1%
Textile 18% (contre 36% ,  2000) 23% (contre 48% en 2000) 11% (contre 23% en 2000) <1%
Hydrocarbures, produits chimiques 98%

 

Il est clair que cette dynamique d’échange avec l’Union Européenne ne profite pas du tout à l’Algérie, et cela pour plusieurs raisons.

  • D’abord, l’effondrement des prix et du volume des hydrocarbures exportées par l’Algérie, notamment pendant la période du Covid. Et comme l’économie algérienne est basée quasi exclusivement sur les hydrocarbures, l’impact est très significatif.
  • Ensuite, l’arrivée d’autres concurrents à l’UE, comme la Chine ou la Turquie, où le volume d’échange augmente avec tous les pays d’Afrique mais particulièrement avec l’Algérie.
  • Enfin, et depuis la signature des accords, l’Union Européenne est passé de 15 membres à 27, notamment des pays d’Europe de l’Est avec un cout de main d’œuvre moindre.

Dans ce contexte, un dialogue de sourds s’installe entre l’Algérie et l’Union Européenne.

L’Algérie considère que les investissements européens ne sont pas à la hauteur des ambitions communs. L’UE considère que le climat des affaires n’est pas propice.

D’autre part, l’UE dénonce des restrictions à l’importation des produites européens, et l’Algérie parle d’une « rationalisation des dépenses » de ses devises, surtout depuis l’arrivée du président Abdelmadjid Tebboune. Le protectionnisme et l’encouragement de la production locale n’est plus tabou.

En effet et depuis 2021, des mesures de sauvegarde prévues par l’article 11 de l’accord sont mises en place, avec des taxes allant jusqu’à 200% sur certains produits[vi].

L’Algérie estime par ailleurs que cet accord est complètement déséquilibré, et risque de mettre à mal la diversification fragile et récente de son économie, sans parler des pertes sèches et le manque à gagner des droits de douanes (estimées à plus de 16 milliards $).

Pour illustrer ce déséquilibre criant. En 2005, l’Algérie a importé 400 000 tonnes de blé pour l’Europe contre 4 000 tonnes de produits transformés en Algérie (couscous et pâtes alimentaires), 45 000 tonnes de semences européennes contre 5 000 tonnes de pommes de terre fraîche, facilité illimitée pour les confitures venant d’Europe contre un quota de 2 000 tonnes de confitures d’agrumes[vii]… et la liste est longue.

L’Union Européenne a donc engagé, le vendredi 14 juin 2024, une procédure contre l’Algérie pour l’obliger à réduire ou supprimer ses mesures de restrictions d’importations des produits européens.

 

3.    Quelle est la prochaine étape ?

L’Union Européenne est le premier partenaire commercial de l’Algérie, avec plus de 50% du commerce international en 2023, même si la valeur totale des exportations de l’UE vers l’Algérie diminue régulièrement, passant de 22,3 à 14,9 Md€ entre 2015 et 2023.

En engageant sa procédure contre l’Algérie, l’Union Européenne souhaite avant tout relancer les discussions avec un partenaire aussi stratégique que notre pays, et trouver des solutions pour relancer la dynamique commerciale. Si aucune solution n’est trouvée, l’Union Européenne pourra demander la création d’un groupe spécial d’arbitrage.

Face à une géopolitique instable, L’Europe a besoin d’un fournisseur d’énergie fiable et stable. Mais l’Algérie devient gourmande et ne veut pas être cantonnée à un simple fournisseur de gaz. Notre pays dans sa pleine mutation économique espère offrir des alternatives sérieuses aux consommateurs européens. L’Algérie s’y prépare sérieusement, avec tous les progrès significatifs du secteur agricole, la revue des cahiers de charges pour implanter des industries durables, la découverte de nouveaux gisements miniers, le lancement de plusieurs chantiers d’infrastructures stratégiques, sans oublier les services IT que notre pays peut out-sourcer. Le marché européen est stratégique pour notre pays, mais ça ne doit pas se faire au détriment d’une diversification économique naissante et fragile.

L’Algérie a donc besoin de l’Europe, et l’Europe a besoin de l’Algérie.

______________

Yassine Mami

Conseil Scientifique de Jil Jadid.

 

[i] https://www.eeas.europa.eu/algerie/lunion-europeenne-et-lalgerie_fr?s=82

[ii] L’Accord d’association Algérie-UE : un bilan-critique, Pr. KHELADI Mokhtar – Université de Béjaia

[iii] https://algerian-embassy.be/cooperation-financiere/

[iv] Accords d’association et intégration commerciale entre l’Union européenne et l’Afrique du Nord – note du Ministère français de l’économie et des finances – décembre 2021

[v] Accords d’association et intégration commerciale entre l’Union européenne et l’Afrique du Nord – note du Ministère français de l’économie et des finances – décembre 2021

[vi][vi] TSA – ENTRETIEN. UE – Algérie : les « raisons » du bras de fer

[vii] https://www.lemonde.fr/international/article/2005/08/31/en-algerie-la-reduction-des-barrieres-douanieres-avec-l-ue-inquiete-patronat-et-syndicats_684064_3210.html