Entretien avec Sofiane Djilali – TSA

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TSA

Le mouvement citoyen entame son dixième mois. Est-il arrivé à maturité ?

Soufiane Djilali, président de Jil Jadid. Absolument. Le mouvement a mûri en cours de route. D’ailleurs, il est loisible de constater qu’il y a eu en gros trois phases.

Il y a eu une première phase, du 22 février jusqu’au mois de mai environ. Nous avons eu un très fort mouvement populaire général, qui avait un objectif clairement énoncé, à savoir le changement de pouvoir et de mode de gouvernance. À partir de juin, a commencé ne deuxième phase avec une certaine crispation. On était alors face à des décisions importantes. Il était évident alors que l’élection du 4 juillet allait être annulée et qu’on allait entrer dans une phase un peu plus compliquée. C’était une transition de fait. Les différents protagonistes essayaient chacun d’avancer ses idées et ses convictions pour trouver la solution. Fallait-il opter pour une constituante ? Celle-ci devait être élue ou désignée ? Fallait-il aller au contraire aux élections ?

C’était la phase de bouillonnement politique où chacun avançait ses solutions et où les groupes commençaient à se constituer. Et ce, avec une forme de radicalité parfois extrême. C’était la phase des surenchères où n’importe quidam pouvait accuser les autres de trahison. Entre-temps le pouvoir avait tenté une forme de dialogue avec la commission de Karim Younès.

À partir de septembre et en particulier depuis la convocation du corps électoral pour l’élection du 12 décembre, nous sommes entrés dans une troisième phase : celle de l’affrontement entre deux volontés. Le pouvoir a décidé d’imposer sa solution alors que le Hirak n’en voulait pas. On a vu alors de nouveau fleurir les manifestations, avec un volume extrêmement important, avec une éclipse des conflits idéologiques. Désormais, le Hirak se focalise autour du refus de l’élection et non pas sur les propositions, sinon qu’il souhaite une phase de transition générique.

Dans une contribution publiée ce jeudi sur El Watan, vous dites « il est temps que nos concitoyens s’organisent politiquement », mais en même temps vous estimez que « structurer le Hirak est une négation même du principe de la démocratie que prône le Hirak ». Expliquez-nous ?

Justement, ce qui est venu dans le sillage de cette maturité, c’est qu’on a dépassé la phase des crispations et des égos. Et les Algériens ont commencé à réfléchir en tant que citoyens. Ils se sentent impliqués et ils ont compris que les résultats ne peuvent pas être immédiats, qu’il faut construire sérieusement une solution et ne pas se contenter des vendredis. Et naturellement, les Algériens vont aller chercher l’avenir, chacun dans le sens de ses convictions.

Il faut juste les encourager maintenant à construire des structures et des organisations, à travailler collectivement et à ne pas rester chacun dans son coin.

Je pense que c’est une période où des partis politiques doivent soit éclore de nouveau, soit se renforcer pour ceux qui existent, en tout cas, se structurer très sérieusement. Les Algériens doivent maintenant concrétiser cette citoyenneté naissante à travers un effort soutenu dans l’organisation qui leur sied : parti politique, société civile, syndicat, …

À ce propos, certaines parties proposent carrément de créer un parti du Hirak qui pourrait jouer un rôle notamment lors des prochaines législatives. Qu’en dites-vous ?

À partir du 22 février, une très grande partie de la jeunesse a découvert la politique. Avant cette date, l’état d’esprit général était qu’on ne pouvait rien faire, qu’il y avait un système fermé, une espèce de chape de plomb et cela a entrainé une forme de désintérêt et d’indifférence au politique en général. C’est donc le moment pour les jeunes générations, qui découvrent la politique, de s’engager soit dans des structures existantes ou alors, s’ils ont les moyens, le courage et le savoir-faire, de créer de nouveaux partis politiques. Même si des jeunes voulaient intituler un parti politique au nom du Hirak, c’est leur droit. Dans l’action politique il y a une partie « com ». Si un groupe utilise cette opportunité à lui d’en faire une réussite. En tous les cas, c’est bien que les Algériens s’impliquent en politique.

Selon vous, toute structuration du mouvement populaire est un embrigadement et une garantie de retour vers le parti unique …

Dans le cas où on tenterait de mettre en application l’idée de structurer le Hirak en tant que tel. S’il y a volonté de s’accaparer la dynamique du pouvoir, cela échouerai. Le Hirak n’appartient à personne et à tout le monde à la fois. Il est inutile et inefficace de vouloir surfer sur une vague pensant faire le jackpot politique. Il y a de tout dans le Hirak, toutes les obédiences politiques et toutes les tendances et convictions. Le peuple en entier est dans le Hirak et il a exprimé sa volonté de changement. Mais lorsqu’on ira aux élections donc au moment fatidique du choix- c’est ça la démocratie – ce Hirak se transformera en corps électoral. On ne peut donc pas embrigader un corps électoral dans une structure organique, sinon à revenir au parti et à la pensée uniques. Il faut abandonner l’idée d’un représentant du peuple, dont la motivation sous-jacente est le zaïmisme.

Vous dites que dans une situation aussi complexe que celle du pays, il ne peut y avoir de réponse unique aux préoccupations légitimes d’une société à la recherche de son avenir…

Bien sûr, c’est l’essence de la démocratie. Moi, je vois une solution dans une certaine gouvernance, que je peux proposer dans mon projet de société, mais j’accepte, intellectuellement parlant, que mon concitoyen peut penser à une autre solution qu’il souhaitera proposer à un potentiel électorat. Le jeu de la démocratie c’est qu’il y ait la possibilité pour chacun d’avancer son propre projet de société, son propre programme. Nul ne détient la vérité absolue. C’est dans le jeu du débat que les meilleures solutions apparaissent.