Un désespoir à reconnaitre, expliquer et y remédier

Un désespoir à reconnaitre, expliquer et y remédier

Temps de lecture : 3 minutes

 

El Harga (littéralement griller les frontières), est un phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui, des Algériens ont toujours pris le risque en bravant les dangers de la mer. Espérant un avenir meilleur pour eux même et leurs familles, poussés par le chômage, et une situation économique qui ne leur profite pas.

Aujourd’hui ce phénomène prend de l’ampleur, avec des jeunes et des moins jeunes ayant un désir quasi obsessionnel de partir, et de se construire ailleurs.

Ce n’est plus uniquement une question de chômage qui les pousse à prendre ce risque, malgré le risque d’y laisser la vie, mais un ensemble de paramètres que des sociologues analysent, et décortiquent, car le profil de l’émigré clandestin d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui.

Ils sont jeunes ou moins jeunes, hommes et femmes, parfois avec enfants à vouloir quitter le pays. Ils sont au chômage, ou ayant un emploi, dont des cadres diplômés, autant de profils variés que d’embarcations de fortune.

Tout d’abord, c’est à cause de la grosse déception après l’espoir suscité par le Hirak du 22 février 2019. On sait que pendant cette période et jusqu’à une ou deux années après, il y a eu un espoir sans précédent de voir concrétiser le rêve algérien ; où des algériens se sont mis à rêver de plein emploi, de pays enfin moderne et prospère, ouvert sur le monde, dirigé en partie par cette jeunesse majoritaire. Il y eut un semblant d’accalmie sur le front de l’émigration clandestine cette année là.

Puis, il y a aussi la crise économique qui s’est aggravée depuis les deux dernières années entre autre à cause de la chute du prix des hydrocarbures et de la crise sanitaire du Covid-19. Avec des hausses du niveau général des prix, l’inflation, et un pouvoir d’achat qui a dégringolé dangereusement. La classe moyenne s’est retrouvée en difficulté et n’arrive plus à joindre les deux bouts. Cette classe moyenne qui devient aussi candidate à l’émigration clandestine après avoir essuyé un refus à leurs demandes de visa le plus souvent pour l’Europe.

Au-delà de l’aspect économique, il y a un mal-être profond et une dépression palpable qui pousse à la survie mais ailleurs, au prix même de la vie. Car prendre ce chemin est souvent voué à l’échec, non seulement beaucoup finissent au fond de la mer, mais ceux qui sont pris par les autorités sont traduits en justice (il y a une loi criminalisant l’émigration clandestine) et punie pour ce fait. Malgré une loi d’ordre répressif, à la faveur de laquelle on a commencé à emprisonner et à infliger des amendes à ceux qui tentent El Harga leur nombre ne baisse pas et ils ne semblent pas dissuadés par les risques encourus.

Ce mal être, ce malaise profond, est peut-être accentué par la crise économique, mais elle ne l’explique pas entièrement. D’autres paramètres doivent être pris en compte.

La jeunesse algérienne, qui constitue la majorité dans le pays, n’a aucune soupape de décompression ; pas de théâtres, pas de cinémas, pas de musique, et pas vraiment de loisirs. Un jeune algérien même s’il travaille, ne trouvera rien à faire en fin de journée.

Ces dernières années ont vu également un nombre impressionnant de cadres de haut niveau à l’image d’ingénieurs et de médecins quitter le pays (de façon légale cette fois-ci) pour des pays européens ou ceux du Moyen-Orient pour s’y installer définitivement. Ils parlent tous d’un malaise, d’un sentiment d’incomplétude et de grandes difficultés à s’affranchir dans un espace politique et social compliqué.

Les résultats d’une enquête du CREAD, auprès des étudiants algériens en France, fait ressortir un taux important d’étudiants qui déclarent ne pas avoir l’intention de retourner en Algérie à la fin de leurs études.

Tout ce monde qui quitte l’Algérie ou rêve de le faire doit nous questionner sur la responsabilité de tout un chacun ?

D’abord le pouvoir en place qui ne réagit pas à ce drame, ne cherche pas à l’expliquer. Alors même qu’il faudrait un certain courage politique pour reconnaitre ce malaise profond au sein de la société et par conséquent doit y consacrer tous les efforts nécessaires pour comprendre le phénomène, l’expliquer et y remédier.

Aussi l’économie nationale reste dépendante des variations des prix des hydrocarbures, et qui nous fait vivre dans sentiment d’insécurité.

Et puis on a un ministère de la culture qui ne joue pas son rôle en offrant à la jeunesse ces « pores de respiration » dont parlent les sociologues. Cette jeunesse bourrée de talent, et d’imagination qui désire découvrir le monde et qui n’accepte  plus ce qu’on lui propose.

Il nous faudrait à présent se mettre d’accord sur un nouveau contrat social, un réel projet de société et une vision claire de ce que nous voulons être et devenir. Un projet qui associera le plus grand nombre et qui redonnera concrètement de l’espoir à une jeunesse en perdition.

 

Dr Ahmed GUENDOUZ,
Membre du Conseil National Jil Jadid, coordinateur wilaya Sidi-Bel-Abbès