1. BRICS contre G7
Les 22 juin dernier a eu lieu le 14ème sommet des BRICS, qui rassembla les cinq pays membres (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), sous le thème « Favoriser un partenariat de qualité entre les BRICS, ouvrir une nouvelle ère pour le développement mondial ». Cet évènement avait un gout particulier avec la présence très remarquée du Président Russe en plein conflit Russo-Ukrainien. 13 autres dirigeants ont participé dont le président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui s’est exprimé en premier, il a très vite planté le décor et à rappeler qu’« il est certain aujourd’hui que le sous-développement économique dont souffrent plusieurs pays émergents n’est pas seulement une question interne, mais tire plutôt ses racines d’un déséquilibre flagrant des structures des relations économiques internationales et de l’hégémonie qu’exerce un groupe de pays ».
Peut-être pas complètement par hasard, le G7 réunit ses membres à quelques 8000 km, et à peine 3 jours après ce sommet. L’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, ainsi que l’Union européenne se sont retrouvés en Bavière en Allemagne, et depuis 2014 sans la Russie qui a été exclue à la suite de l’annexion de la Crimée. Juste après le sommet du G7, une autre réunion importante a eu lieu à Madrid et qui rassembla les 30 pays membres de l’OTAN. Evidemment, ces deux dernières réunions ont été très largement couvertes par les médias occidentaux, ce ne fut pas le cas pour le sommet des BRICS.
Ces trois évènements successifs résument à eux même la géopolitique qui modèle notre monde depuis une dizaine d’années.
Contrairement au G7 ou à l’OTAN, le BRICS n’avait pas initialement une volonté politique ou géopolitique. La création de ce groupement informel était plutôt pour des raisons purement économiques, et d’ailleurs le terme BRIC a été utilisé pour la première fois par la banque américaine Goldman Sachs, où son chef économiste avait prédit qu’en 2040, le PIB total des BRIC (sans l’Afrique du Sud) devrait égaler celui du G6 (G7 moins le Canada). Cette estimation a été depuis revue à la baisse : 2032 au lieu de 2040. Déjà en 2021, Les BRICS représentaient plus de 40% de la population mondiale (contre 10% pour le G7), et produisaient presque le 1/4 du PIB mondial (contre 35% pour le G7). Les BRICS devaient continuer à creuser l’écart sur plein d‘autres domaines, notamment la croissance économique, le commerce mondial, la démographie et la population active, la production de l’énergie et les métaux rares …
2. Nouvel ordre mondial ?
Les crises géopolitiques en Ukraine, Taiwan, Syrie, Irak, … et plus généralement l’hégémonie américaine a renforcé le sentiment des pays BRICS pour accélérer leur coopération et proposer un nouvel ordre mondial.
Les institutions mondiales économiques ou politiques sont toutes issues de la deuxième guerre, s’avèrent en déphasage complet avec note époque. La représentation des pays n’est pas toujours alignée avec leur poids démographique ou économique.
Dans ce contexte, les BRICS proposent tout d’abord, un modèle différent du FMI et de la Banque Mondiale. Les pays du BRICS ont créé La Nouvelle Banque de Développement basée à Shangaï et dotée de pas moins de 100 Milliards $, avec un objectif de monter à 350 Milliard $ dans quelques années (pour égaler le budget du FMI). Son but ? financer les projets d’infrastructures de ses membres et des pays en voie de développement en général. Et cela sans imposer aucune contrainte politique telle que l’obligation de mener des réformes économiques ou politiques, mais plutôt du « soutien mutuel et de la coopération gagnant-gagnant » comme l’a rappelé le Président Chinois. Les médias occidentaux ont été très discrets pour relayer ces informations, si ce n’est pour présenter la démarche comme une tentative de renverser l’ordre établi. Depuis sa création, cette banque a approuvé et financé près de 80 projets dans le transport, l’énergie, les énergies renouvelables, l’hydraulique, …[i].
Les BRICS ont également créé un fonds de réserve doté lui aussi de 100 Milliards $, pour faire face aux crises financières majeures, et (surtout) pour répondre aux décisions de la politique monétaire de la FED américaine, et qui peuvent avoir des lourdes conséquences pour les pays du BRICS. C’était le cas en 2013, quand la FED a décidé de baisser ses injections de liquidités sur les marchés, provoquant une dévaluation importante des monnaies des BRICS : -20 % pour la Roupie indienne, -17 % pour le Réal brésilien, -13,5 % pour le Rand sud-africain, entre le 1er mai et le 27 août 2013[ii].
Mais peut-être le point le plus important est la possibilité de ces pays de prêter et d’échanger en monnaie différente du Dollar américain ! D’une part, pour faire face aux différentes crises financières qu’a connues le monde. D’autre part, pour limiter l’hégémonie américaine sur la finance mondiale, à travers le Dollar (qui n’est même pas adossé à l’or depuis 1971) mais aussi à travers le contrôle strict du système SWIFT des transactions financières mondiales. Ainsi, lors du sommet des BRICS en 2013, le Brésil a conclu un accord avec la Chine pour échanger en Real brésilien et en Yuan chinois. En 2018, la Chine a commencé à acheter du pétrole iranien en Yuans adossés à l’or. Et en 2020, à peine la moitié des transactions commerciales russo-chinoises était en dollars.
Sur un autre registre, les pays du BRICS cherchent à établir un nouvel ordre mondial géopolitique, et proposent de réformer le conseil de sécurité des Nations Unies, en offrant une représentation permanente à d’autres pays émergents, en particulier à des pays d’Afrique. Et cela ne sera pas sans conséquence sur l’ordre mondial. La plupart des BRICS étaient contre la dernière guerre en Irak. Ils se sont également prononcés contre l’utilisation de la force en Libye. Et tout récemment, et concernant la résolution de l’ONU condamnant l’invasion russe sur l’Ukraine, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde se sont abstenus (le Brésil a voté pour).
3. Quel intérêt pour l’Algérie ?
Dans un monde où il est vital de créer des alliances pour survivre, les BRICS peuvent s’avérer très profitables pour l’Algérie. Sur le plan économique, il est clair que le centre de gravité mondial s’est déplacé vers l’ASIE, et les récentes crises financières et sanitaires, montrent l’extrême dépendance du monde entier vis-à-vis des pays comme la Chine ou l’Inde. Le moteur économique du BRICS et à sa tête la Chine a une volonté de relier l’Asie à l’Afrique là où la croissance sera la plus forte dans les prochaines décennies. Les BRICS ont besoin d’élargir leur influence en Afrique et en méditerranée, et ils peuvent avoir besoin d’un allié équilibré comme l’Algérie pour commercer avec une Europe vieillissante et conquérir une Afrique assoiffée de développement et de modernité. Lors du dernier sommet, le président chinois a rappelé « L’apport de sang frais insufflera une nouvelle vitalité à l’intégration des BRICS et augmentera sa représentativité et son influence »,
De l’autre côté du miroir, l’Algérie a besoin de l’espace des BRICS pour se développer, assurer un transfert technologique, obtenir des financements pour des projets d’infrastructure, avoir accès à des nouveaux marchés, … ce qui lui permettra au passage de contourner des accords éventuels avec l’Union Européenne jugés parfois injuste, hégémoniques et sans intérêts économiques.
Dans un futur proche, tous les pays du monde auront besoin d’un ensemble de conditions pour réussir leur développement économique et humain, et les BRICS peuvent prétendre à remplir la quasi-totalité de ses conditions, notamment :
- Une population active et jeune (en Afrique et en Inde).
- Un cout de travail et un cout d’énergie très compétitif.
- Un marché intérieur important (près de 3.5 Milliards consommateurs sur l’ensemble des BRICS).
- Des terres rares pour assurer la fabrication des équipements informatiques (en 2021, le BRICS possédaient plus de 70% des réserves mondiales de terres rares).
- De l’énergie (la Russie et l’Algérie peuvent jouer un rôle déterminant).
- Des réserves de dollars et d’autres monnaies (la Chine détient la plus grande réserve de change au monde, l’Algérie détient la plus grande réserve en Afrique avec 43 milliards de réserves et 174 tonnes d’or).
De plus, avec les pays des BRICS, il y a moins ce rapport de dominant-dominé (pour ne pas dire d’occupant-occupé), et les relations sont basées sur le gagnant-gagnant, y compris pour les transferts de technologie.
Les pays du BRICS ont par ailleurs d’autres challenges à relever, comme l’équilibrage et la diversification des économies au sein du groupe : l’économie de la Chine n’est pas celle de la Russie par exemple. Le BRICS doivent aussi œuvrer pour améliorer le PIB par habitant, et même faire progresser l’indice de développement humain. D’autre part, la course vers le développement économique et technologique ne doit pas occulter les aspirations sociales et les choix politiques des peuples des états membres.
Notre pays, l’Algérie a ses chances pour faire partie de ce club très restreint, mais attention, la concurrence est rude. D’autres pays de poids ont exprimé leur volonté de faire partie des BRICS, comme le Mexique, la Turquie, la Corée du Sud, ou encore l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabes Unies, l’Argentine et l’Iran (ces deux derniers ont déposé officiellement leurs candidatures en juin dernier). Pour augmenter ses chances, l’Algérie doit travailler pour maintenir une croissance économique durable, diversifier son économie et montrer une réelle volonté politique pour encourager les investissements dans le pays.
Dans tous les cas, et quelle que soit l’issue de la candidature de l’Algérie, cela dénote tout de même de la volonté de porter une vision pour l’Algérie de demain, ce qui a cruellement manqué à notre pays depuis plusieurs décennies, et ça mérite d’être salué et encouragé.
Par Yassine MAMI
Conseil Scientifique Jil Jadid
Commission Economie et Finances
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[i] https://www.ndb.int/projects/list-of-all-projects/approved-projects/
[ii] https://www.lemonde.fr/economie-mondiale/