Quel est l’avenir des équilibres géopolitiques au Moyen-Orient après la chute du régime El Assad ?

Quel est l’avenir des équilibres géopolitiques au Moyen-Orient après la chute du régime El Assad ?

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Dans un précèdent article, j’avais émis l’hypothèse d’un deal entre les puissances mondiales aboutissant au changement de régime en Syrie. Les évènements qui s’y succèdent semblent confirmer cette approche. Ainsi :

1) Des différentes factions anti Assad, il y avait les Kurdes, les groupes affiliés à l‘ISIS (daesh) d’obédience salafiste-djihadiste ainsi que ceux liés ou récupérés par la Turquie de la mouvance des Frères musulmans.

Ce sont ces derniers, sous parrainage de la Turquie qui ont pris le pouvoir.

2) Le comportement des nouveaux maîtres de la Syrie, jusqu’à maintenant, semble être contrôlé par la Turquie. Le discours est plutôt rassembleur et les violences écartées. Les derniers communiqués du nouveau pouvoir donnent des assurances non seulement pour tous les fonctionnaires de l’Etat mais aussi pour les différentes communautés ethniques et religieuses, y compris pour les alaouites. Enfin, des directives claires ont précisé que les femmes ne doivent pas être ciblées quelles que soient leur tenue vestimentaire (donc pas d’exigence du voile).

3) La Russie et l’Iran ont officiellement annoncé qu’ils avaient des canaux de communication avec le nouveau pouvoir qui lui aussi, semble s’engager à accepter la présence Russe à Tartous et Hmimein, cad les intérêts vitaux de la Russie en Syrie.

4) Israël a pénétré le territoire syrien en occupant une autre partie du Golan et a surtout bombardé systématiquement les aéroports et infrastructures militaires, les stocks de munitions et les armes de défense. Ce qui signifie qu’Israël n’est pas en confiance avec les nouveaux venus. Cette attitude est une provocation contre la population syrienne, le nouveau pouvoir, la Turquie et la Russie. Réaction totalement irrationnelle aggravant la défiance contre l’entité sioniste. L’occupation du Golan a provoqué une condamnation générale, y compris par les pays qui n’osaient pas condamner le génocide à Gaza.

En synthétisant les données éparses et en les recoupant, il semblerait donc bien qu’un deal ait été conclu entre la Turquie, la Russie et l’Iran (à Doha).

En réalité, le régime alaouite était finissant et n’avait plus ni les moyens matériels (mis sous embargo, spolié de son pétrole, bombardé constamment par Israël) ni humains pour se maintenir face à la rébellion, à l’hostilité agissante des USA et d’Israël et surtout à la défiance de son propre peuple. Bashar El Assad lui-même a baissé les bras. Dans une ultime tentative de sauver son régime, il avait 3 choix possibles :

a) Engager le conflit armé avec l’aide de la Russie et de l’Iran, plus les milices irakiennes et libanaise ;

b) Se soumettre aux conditions des USA et d’Israël, propositions qui lui auraient été transmises par les Emirats Arabe Unis ;

c) Abandonner le combat et se retirer du jeu avec des garanties de protection pour lui et sa famille tout en épargnant la Syrie d’une nouvelle guerre sanglante

Bashar El Assad, a donc préféré cette troisième solution.

Sur cette base, le deal a été négocié. La Turquie aurait ainsi présenté la seule alternative restante : soit elle est appuyée par la Russie et l’Iran qui lui permettrait de vassaliser la Syrie tout en garantissant les intérêts de la Russie et en évitant un bain de sang, soit une guerre de tous contre tous qui s’ouvrirait avec au final, la possibilité de l’emporter pour une alliance USA-Israël- Arabie Saoudite-EAU, qui imposerait les salafistes djihadistes.

Cela explique le retrait subit et incompris des forces de l’axe Russie-Iran-Hezbollah sans aucun combat, la neutralisation de l’armée syrienne par son propre commandement et le transfert du pouvoir sans pratiquement aucune résistance.

Cette situation ne pouvait qu’inquiéter Israël car il n’était pas aux commandes de ce changement et peut expliquer sa réaction violente.

Qui gagne et qui perd ?

La Syrie perdra en grande partie sa souveraineté mais gagnera économiquement et socialement. En effet, la Turquie s’engage à lui garantir son unité, évitant en cela la création d’un Etat kurde inacceptable pour elle. Si la paix est retrouvée, au lieu d’être tiraillée entre les intérêts de plusieurs pays, elle se reconstruira à l’ombre de la Turquie tutrice.

La Turquie sort vainqueure de ce jeu. Désormais, l’Empire néo-Othoman reprend vie. L’axe Azerbaïdjan-Turquie-Syrie prend forme. Les kurdes devront abdiquer et abandonner l’idée d’un Etat indépendant. La Turquie, en collaboration avec le Qatar, accueillera le gazoduc qui alimentera l’Europe, qui deviendra quelque part son otage pour son approvisionnement énergétique.

La Russie, si elle garde Tartous, sera libérée du poids de la Syrie tout en maintenant les avantages. La concurrence du gaz qatari sera moins préoccupante puisqu’elle s’est déjà orientée vers ses clients asiatiques, Chine et Inde. Elle alimentera partiellement l’Europe via l’Allemagne à la fin du conflit en Ukraine, qui se terminera à son avantage.

L’Iran perd une zone d’influence importante et devra se replier sur les zones chiites, en Irak et au Yémen. D’un autre côté, il sera prémuni d’une attaque de l’OTAN, puisqu’il ne représentera plus de menace directe pour Israël. Une levée des sanctions occidentales pourrait être envisagée après un accord sur le nucléaire.

Le Hezbollah, au moins conjoncturellement et tactiquement est l’un des perdants en attendant de voir l’évolution de la situation d’Israël.

Israël semble être, à première vue, le grand vainqueur grâce à l’élimination du verrou syrien qui était central dans l’axe de la résistance. Cependant, stratégiquement, cela risque d’être en réalité une défaite. Israël se retrouve face maintenant à un proxy de la puissance turque. Par ailleurs, il n’a pas pu éliminer le Hezbollah du Sud Liban qui restera définitivement une menace et qui pourrait être réactivé par l’Iran en cas de nouveaux conflits.

En effet, Netanyahou dans sa folie guerrière et messianique est parti trop loin. A cause de lui, l’image d’Israël et des USA a été très abimée auprès de l’opinion publique internationale. Le droit international a été gravement transgressé et discrédité. Moralement, Israël ne peut plus reprendre sa position victimaire ni prétendre à diriger le Moyen-Orient d’autant plus que son incapacité militaire à battre le Hezbollah sur le terrain malgré le soutien multiforme des USA l’a disqualifié du rôle de gendarme de la région. Il trainera définitivement l’image de l’Etat colonial et génocidaire et ne pourra probablement pas aboutir aux accords d’Abraham avant longtemps. Il se dévitalisera lentement mais irrémédiablement pour devenir un territoire sanctuarisé pour les Juifs extrémistes.

L’Arabie Saoudite et les EAUont vu leur échapper cette zone d’influence qui passe à leur rival sunnite d’obédience des frères musulmans. C’est un revers pour les deux.

Les USA quant à eux et dans le cadre de la politique trumpiste, pourraient se dégager du Moyen-Orient pour se consacrer à leur rivalité avec la Chine. Ses arrières au Moyen-Orient seront assurés par la Turquie et non plus par Israël pour les raisons précisées ci-dessus.

L’Europe de son côté, va se retrouver perdante au Moyen-Orient et en Ukraine. Economiquement, elle sera étranglée par les USA, par la Russie et par la Turquie. Dans les jours et semaines à venir, les médias européens changeront de discours et redeviendront très critiques contre le nouveau régime syrien dont l’origine sera qualifiée d’islamiste-terroriste.

Enfin, la question palestinienne devra être traitée définitivement. Une reconnaissance de son Etat sera négociée par les puissances mondiales.

Il reste à savoir quelles seront plus précisément les relations entre les USA et la Turquie. Jusqu’à quel degré cette dernière peut aspirer à la puissance régionale vis-à-vis de la Russie, des pays du Golfe, de l’Iran et surtout du binôme USA-Israël et si elle a la capacité économique suffisante pour assumer ce nouveau rôle.

Si cette analyse est juste, et que cet édifice négocié tienne la route, alors nous entrons dans une phase de désescalade générale et les risques d’une troisième guerre mondiale s’estomperont. Dans le cas contraire, nous entrons dans une phase d’un désordre mondial qui nous mènerait à une conflagration générale !

Soufiane Djilali